26/08/2008

Se laisser séduire par le Seigneur…

Bonjour, chers amis de l'Evangile au quotidien !

La première lecture du 22ème dimanche du temps ordinaire est extraite du Livre de Jérémie. Un texte qui laisse entendre le cri du cœur d'un homme excédé par l'outrage, un texte qui n'est pas sans rappeler notre propre découragement face à ce que (parfois) nous pensons être un manque de soutien du Seigneur lorsque nous sommes en difficulté dans l'exercice de notre apostolat (Jr 20, 7-9).
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20
07 Seigneur, tu as voulu me séduire,
et je me suis laissé séduire ;
tu m'as fait subir ta puissance,
et tu l'as emporté.
A longueur de journée je suis en butte à la raillerie,
tout le monde se moque de moi.
08 Chaque fois que j'ai à dire la parole,
je dois crier,
je dois proclamer :
« Violence et pillage ! »
A longueur de journée, la parole du Seigneur
attire sur moi l'injure et la moquerie.
09 Je me disais : « Je ne penserai plus à lui,
je ne parlerai plus en son nom. »
Mais il y avait en moi comme un feu dévorant,
au plus profond de mon être.
Je m'épuisais à le maîtriser,
sans y réussir.
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Cet extrait de Jérémie est très touchant. Voici une personne en principe reconnue pour dire les oracles du Seigneur, un porte-parole de Dieu qui se plaint du sort qui lui est réservé, justement dans (et à cause) de l’exercice de sa fonction. Personne ne l'écoute, et pour la presque totalité du peuple, il radote. Jérémie est dépité, il en a marre de se faire traiter de tous les noms d’oiseaux ; il est excédé d’être sujet à la moquerie, à l’injure. Il dit sa déception au Seigneur : «Seigneur, tu as voulu me séduire, et je me suis laissé séduire ; tu m'as fait subir ta puissance, et tu l'as emporté».
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Séduire…
le mot est trop faible à mon sens. En grec, βιάζω veut dire abuser — εκμεταλλεύομαι veut dire abuser ou exploiter — καταχρώμαι veut dire aussi abuser ou détourner. C’est dans ce sens qu’il convient de traduire le ras-le-bol de Jérémie : "abuser", avec toutes les nuances que peut prendre ce verbe français: "duper, tromper" (voir Juges 16/15 ; II Samuel 38/25 ; I Rois 22/20-23 = II Chroniques 18/19-21 ; Proverbes 1/10 ; 24/18 ; 25/15) ; parfois peut-être "forcer" (voir Proverbes 16/29 ); "tromper Dieu" (voir Psaumes 78/36) ou "se tromper de dieu" (voir Deutéronome 11/16 ; Job 31/27). Egalement "abuser sexuellement" (voir Juges 14/15 ; Job 31/9 et surtout Exode 22/15). A ce propos, il est intéressant de rapprocher Jérémie 20/7 de Osée 2/16 et de Ezéchiel14/9.
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Mais pour bien comprendre ce cri du cœur du prophète, il est bon de rappeler le contexte de son «ministère». Les enfants d’Israël ne priaient plus Dieu, ils adoraient plutôt Bâal, une divinité païenne et faisaient sans cesse le mal. Un jour, le roi des Assyriens envahit le pays et captura beaucoup de prisonniers. Alors se réalisa la sentence que Dieu avait prononcée contre Israël: «Parce que vous refusez de me servir, leur dit Dieu, vous servirez des étrangers loin de votre pays !» Mais dans son infinie miséricorde, le Seigneur Dieu envoya son prophète Jérémie pour avertir les habitants de Jérusalem. «Arrêtez de faire le mal !», les supplia-t-il, «sinon, voilà ce qui vous attend !». Pendant des années, Jérémie, pourtant né d’une famille sacerdotale bien connue, répéta ce message aux habitants de Jérusalem qui ne cessèrent de se moquer de lui. Un jour, ils l'enfermèrent dans un puits sombre et plein de boue. Le prophète fut même battu et mis en prison à cause des avertissements qu’il consignait par ailleurs dans un livre que le méchant roi fit brûler. Alors, Jérémie prophétisa ainsi : «Dieu va vous chasser de ce pays … Mais après soixante-dix ans, il vous y ramènera!». Et cela arriva. Nabuchodonosor, roi de Babylone, envahit le pays avec son armée, captura tout le peuple juif et fit brûler la ville de Jérusalem.

Ce texte de Jérémie est très symbolique des difficultés de l’annonce de la Parole de Dieu. Toute l’histoire d’Israël est jalonnée d’exemples d’élus qui ont été calomniés et torturés à cause de Dieu. Jésus lui-même fut persécuté parce qu’il proclamait partout la venue du règne de Dieu, le règne de l’alliance nouvelle, le règne de l’Amour. Il a été moqué parce qu’il se disait Fils de Dieu (outrage suprême !) : il fut arrêté, condamné et crucifié pour cela… Ses disciples connurent le même sort. En témoignent «les Actes des Apôtres». Pourtant, à travers toutes ces tribulations, il est bon de rappeler la proximité de Dieu avec ceux qui souffrent — parfois jusqu'au martyre — à cause de la Bonne Nouvelle qu'ils annoncent en son nom. Les Béatitudes ne sont pas autre chose que la glorification de cette relation particulière à Jésus (Mt 5, 10-12):

Heureux êtes-vous lorsque l'on vous insulte, que l'on vous persécute et que l'on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.
Soyez dans la joie et l'allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux; c'est ainsi en effet qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

Quel contraste avec les avertissements de prophètes tout au long de l’histoire d’Israël. En effet, avec constance ils annonçaient des malheurs, sanctions des infidélités de leur peuple : «Malheur à vous…!» (cf. par ex. Am 5,18 et 6,1 ou la liste de sept malédictions en Is 5,8-25 et 10,1-4). Dans les béatitudes, Jésus reprend en quelque sorte ce même ton prophétique, mais pour annoncer une nouvelle manière de vivre ces “malheurs“ en communion et en relation avec lui.

Finalement, c’est peut-être parce que Jérémie, par sa fidélité, s’est attaché au Seigneur pour apprendre de lui comment vivre ce paradoxe (être persécuté à cause de lui) que l’on peut comprendre le verbe «abuser» comme une séduction : «Mais il y avait en moi comme un feu dévorant, au plus profond de mon être». Oui, le Seigneur est attachant. Le lier-délier qu’il annonce à Pierre n’a de sens que dans cette relation première et permanente avec Dieu lui-même. Plus tard, Paul sera la figure emblématique de cette relation fondamentale de tout homme à Christ. Cette relation est exclusive : par lui, avec lui et en lui nous vivrons et nous prendrons part à sa gloire.
Telle est la promesse de Dieu faite aux hommes de tous les temps: Plus qu’une plainte, il s’agit donc plutôt de la crainte de Jérémie pour son Dieu dont il est sûr de sa fidélité. Le Seigneur n’abandonne pas ceux qui ont placé en lui sa confiance. Un véritable placement qui rapporte non pas un petit 4% revalorisable en fonction de l’inflation, mais un placement solide et sûr qui rapporte au-delà de toutes nos espérances et selon nos mérites. A la suite de Jésus qui nous ouvre le chemin de la confiance et de la fidélité à son nom, ce qui nous est promis n’est rien de moins que la joie et l’allégresse d’une relation filiale totale avec Dieu…
Alors ! laissons-nous séduire, charmer, envoûter, habiter, et pourquoi pas abuser par le Seigneur Dieu: il a promis d'être avec nous tous les jours, jusqu'à la fin des temps. Sa présence silencieuse dans notre vie quotidienne est une grâce, une faveur du Dieu-qui-sauve.

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