14/10/2009

Jésus, Fils de Dieu et grand prêtre…

Deuxième Lecture : Hébreux 4, 14 - 16


Frères,

14 en Jésus, le Fils de Dieu,

nous avons le grand prêtre par excellence,

celui qui a pénétré au-delà des cieux ;

tenons donc ferme dans l'affirmation de notre foi.

15 En effet, le grand prêtre que nous avons

n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses ;

en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous,

et il n'a pas péché.

16 Avançons-nous donc avec pleine assurance

vers le Dieu tout-puissant qui fait grâce,

pour obtenir miséricorde

et recevoir, en temps voulu, la grâce de son secours.

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Pour continuer dans le sens de «l’ouverture» et vous faire partager les méditations d’autres personnes, exégètes ou simples témoins laïcs, je vous propose le commentaire de Marie-Noëlle Thabut (1), bibliste et journaliste à Radio Notre-Dame, pour ce texte de saint Paul aux Hébreux, dans une pédagogie limpide destinée à rendre le texte biblique accessible à tous. Voici donc son commentaire:


Tout se passe comme si nous assistions à une discussion sur le thème de la religion: deux théories, ou plutôt deux groupes, sont en présence: d'une part des Juifs, fervents, très attachés au culte du Temple et à l'institution du sacerdoce à Jérusalem: hors de là pas de salut; et, en face, des Chrétiens tout neufs qui ont trouvé en Jésus-Christ, mort et ressuscité, le salut que l'humanité attend. Le dialogue entre ces deux groupes est d'autant plus difficile qu'ils emploient exactement le même vocabulaire, mais en donnant aux mots des sens complètement différents, voire même opposés.

Pour les Juifs, le rôle des prêtres en général, et du grand prêtre en particulier, c'est de faire le pont entre le Dieu inaccessible et le peuple. Quand on dit «Dieu Saint», on pense Dieu séparé, inaccessible; les hommes, eux, appartiennent au monde profane, ce que l'Ancien Testament appelle impur. (Encore un mot qui a changé de sens!); alors, pour transmettre à ce Dieu nos prières, ou même nos actions de grâce, il faut un médiateur, un intermédiaire, quelqu'un qui fasse le pont. (C'est de là que vient le mot «pontife», «pontifex»). Ce quelqu'un ne peut pas être un homme ordinaire, qui appartient au monde profane; d'où tout le rituel de la consécration du grand prêtre; le mot «consécration» signifiant justement séparation, mise à part. Pourtant, nous savons que déjà l'Ancien Testament avait découvert, et merveilleusement, le Dieu tout proche; mais le chemin était à sens unique, si l'on peut dire: Dieu traversait l'abîme qui nous sépare de lui, mais pour l'homme, c'était impossible. D'où la nécessité du prêtre, mis à part pour cela.

Dans cette logique-là, il est évident que Jésus ne remplit aucune des conditions du sacerdoce: premièrement, il n'est pas de la tribu des prêtres (la tribu de Lévi), puisqu'il descend de David, qui est de la tribu de Juda; ses disciples se vantent assez, d'ailleurs, de cette filiation davidique; pire, pour être grand prêtre, il fallait, à l'intérieur de la tribu de Lévi, descendre de la famille d'Aaron, ce qui évidemment n'était pas non plus le cas. Il n'a donc pas non plus reçu la consécration de grand prêtre, et pour cause. Et encore plus grave, il est mort comme un maudit: la mort de Jésus n'est pas un acte du culte, bien au contraire: c'est l'exécution d'un condamné; et pour ceux qui l'ont condamné, il n'était qu'un imposteur, un faux Messie; d'ailleurs la preuve, c'est que Dieu ne lui épargne pas cette mort infâme; il a donc menti en se prétendant fils de Dieu. C'est en le tuant, au contraire, qu'on a accompli un acte religieux, en supprimant un blasphémateur qui ne pouvait que dévoyer le peuple.

Pour les Chrétiens, au contraire, tout repose sur le mystère de l'Incarnation. Dieu s'est fait homme; en Jésus-Christ, homme et Dieu ne font qu'un. Le voilà, celui qui, réellement, efficacement, fait le pont. En lui, Dieu est venu vers l'humanité, Dieu a traversé l'abîme qui nous sépare de lui. Notre texte dit «Il a traversé les cieux». En lui aussi, et en même temps, par sa résurrection, un homme a traversé les cieux: pour rester dans cette image, on pourrait dire que le chemin a été fait dans les deux sens. En lui, l'humanité tient fermement une fois pour toutes la main de Dieu. Et nous, puisque nous sommes son corps, nous avons par lui accès à Dieu. Donc, c'est lui notre médiateur une fois pour toutes. «Tenons ferme dans l'affirmation de notre foi» nous dit l'auteur, c'est-à-dire ne nous laissons plus intimider par une théorie d'un autre âge. Désormais, tout est changé. Ne regardons plus vers le passé; il n'était qu'une étape dans le projet de Dieu. Désormais, « En Jésus, le Fils de Dieu, nous avons le grand prêtre par excellence.»

Nous lisons ici que, au moment où cette lettre a été écrite, déjà la communauté chrétienne donnait à Jésus le titre de Fils de Dieu. Mais, du coup, ces chrétiens avaient la même difficulté que nous. Ce Fils de Dieu pouvait-il en même temps être un homme comme nous? Il est là, le mystère de l'Incarnation, et il faut bien accepter qu'il reste pour nous un mystère: les desseins de Dieu sont trop impénétrables pour nous. Chez nous tous, même si nous récitons fidèlement que Jésus est «vrai homme et vrai Dieu», l'idée que Dieu est irrémédiablement lointain demeure tenace.

C'est probablement pour répondre à ce genre de difficulté que l'auteur ajoute tout de suite après: «Le grand prêtre que nous avons n'est pas incapable, lui, de partager nos faiblesses; en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous, et il n'a pas péché.» Cette épreuve du Christ, recouvre certainement les multiples tentations qui ont jalonné sa vie: celles que nous rapportent les évangiles synoptiques dans ce qu'on appelle les tentations au désert; celle du pouvoir, du succès, du prestige; celle de se faire servir au lieu de se faire serviteur (nous en aurons un écho dans l'évangile de ce même dimanche); celle que lui a occasionnée Pierre en le poussant à éviter la persécution et la mort qui l'attendaient à Jérusalem; celle de Gethsémani... Celle, enfin, de se croire abandonné, au pire moment, c'est-à-dire sur la croix. Toutes ces tentations sont les nôtres, mais lui n'a jamais succombé; pas une fois il ne s'est éloigné de la volonté de son père: «Que ta volonté soit faite et non la mienne». Il est donc bien à la fois notre frère, qui partage notre condition, nos épreuves, nos tentations, et Fils de Dieu vivant parfaitement selon la volonté du Père.

Il ne nous reste plus qu'à marcher à sa suite, nous qui sommes ses membres, comme dit Saint Paul dans la lettre aux Corinthiens. Ce qui est dit ici sous la forme: «Avançons-nous donc avec pleine assurance...» Désormais, l'institution israélite du sacerdoce n'a plus de raison d'être. Mais alors, tout de suite se pose la question: pourquoi y a-t-il encore des prêtres parmi nous? Soyons francs, quand l'auteur de la lettre aux Hébreux écrivait, personne dans aucune communauté chrétienne ne portait le titre de prêtre; et si ce titre est revenu en usage par la suite, c'est avec un sens tout différent. Le prêtre chrétien ne prétend pas «faire le pont» entre Dieu et les fidèles. Mais, par sa présence, il rappelle sans cesse à ses frères, que Jésus-Christ, le seul grand prêtre, le seul pontife, est au milieu d'eux.

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(1) Marie-Noëlle Thabut anime principalement deux émissions sur Radio Notre-Dame:
- En marche vers dimanche, du mardi au vendredi à 11h45,
le samedi à 2h43 (rediffusion du mardi au vendredi 13h17 et 17h02),
- Parole du dimanche, le dimanche à 8h00.

Vous pouvez la contacter à l'adresse: mn.thabut@radionotredame.com


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