5ème dimanche du temps ordinaire
Il y a des jours où l'on a envie de tout envoyer "bouler", tellement la vie nous paraît injuste, ingrate. C'est à se demander si Dieu ne se complaît pas de nos malheurs alors qu'on estime avoir fait tout ce qu'il fallait pour obtenir son indulgence ou ses grâces ! Cette attitude est parfois la nôtre au quotidien: quelle est notre posture devant notre propre souffrance? celle des autres ?
Le livre de
Job : une réponse à la question de la souffrance humaine ? Peut-être
pas seulement, mais plutôt l’indication d’un chemin et d’une certitude :
Dieu, Lui seul y compris et surtout au plus profond de notre détresse et de
notre désespoir. Mais pour vous donner une vision globale du Livre de Job, je
n’ai pu résister à l’envie de vous livrer cette « lecture théologique du
Livre de Job » élaborée par le RP Jean-Michel Maldamé op :
Première Lecture - Job 7, 1 ... 7
Job prit la parole et dit :
1 « Vraiment, la vie de l'homme sur la terre est une corvée,
il fait des journées de manœuvre.
2 Comme l'esclave qui désire un peu d'ombre,
comme le manœuvre qui attend sa paye,
3 depuis des mois je n'y ai gagné que du néant,
je ne compte que des nuits de souffrance.
4 A peine couché, je me dis :
Quand pourrai-je me lever ?
Le soir n'en finit pas :
je suis envahi de cauchemars jusqu'à l'aube.
6 Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand,
ils s'achèvent quand il n'y a plus de fil.
7 Souviens-toi, Seigneur : ma vie n'est qu'un souffle,
mes yeux ne verront plus le bonheur. »
________________________________________________________________________
Lecture
théologique du Livre de Job
Jean-Michel
Maldamé op
1. Le récit archaïque
Le premier récit est simple. Il présente Job et sa richesse.
Le personnage de Job est mentionné avec d'autres par Ezéchiel comme figure de
l'homme qui a réussi dans la soumission de Dieu. Le malheur tombe sur lui. Job
se retrouve sans rien. Le récit montre que Yahvé restaure la situation de Job.
Cette restauration étant faite, Job reçoit des visites et retrouve sa condition
première. Dans ce récit, le personnage central n'est pas Job. Lequel est
passif. L'acteur principal est Yahvé. Il lui a infligé le malheur, puis il l'a
restauré dans sa situation.
La théologie est celle de la souveraineté de Dieu et sa
parfaite liberté. Dieu agit en toute liberté. Cette théologie est fruste :
Dieu donne, Dieu reprend.
Ce texte ne fait pas allusion au rapport qu'il y a entre la
prospérité et la valeur morale. Si Job est riche, on ne sait pas
pourquoi : Dieu a donné et Dieu va redonner. On dit simplement que
pauvreté et richesse, bonheur et malheur dépendent de Dieu. Le sort de l'homme
est dans les mains de Dieu.
Dieu est l'acteur, Job est le bénéficiaire. Il est là,
figure légendaire pour montrer que tout dépend de Dieu. Dieu peut donner, Dieu
peut reprendre.
2. Première rédaction des dialogues
La première rédaction comporte 30 chapitres ; elle
constitue un véritable débat théologique, enraciné dans la théologie précédente
selon laquelle Dieu donne et reprend en sa toute-puissance et liberté. Il
interroge : quelle est la justice de Dieu dans ce comportement de
domination ?
Pour le comprendre, il faut nous défaire de la lecture
moderne, qui voit en Job le révolté. Job est porte parole d'une thèse
théologique exposée par voie d'échange. Le débat est conclu par Dieu qui donne
tort à la thèse de Job. Job le reconnaît.
Le livre ne pose pas la question
du mal de manière intemporelle. Il faut donc savoir quelle est la situation du peuple
élu après l'exil, en situation de vassalité. Deux thèses s'affrontent. Certains
disent : nous avons péché, Dieu nous a punis. D'autres disent : nous
sommes les justes, le peuple élu, Dieu ne nous donne pas ce à quoi nous avons
droit ; donc Dieu est injuste. Chacun plaide. Le procès amène à la
sentence, donnée par Dieu. Elle invalide la thèse de Job : on ne peut pas
accuser Dieu d'injustice, même si on ne comprend pas.
a) les amis de Job, leur position vis-à-vis de Job
Dans cette lecture, les amis de Job sont véritablement des
amis, comme l'indique le récit en prose. Les amis prennent le deuil. Ils
restent près de lui. Le premier à prendre la parole est Eliphaz de Téman (ch.
4). Vu la souffrance de Job, il ne veut pas l'accabler par un discours. Job a
parlé le premier. Il lui répond. A la fin (5,27), il donne un conseil ;
c'est une parole de bienveillance. La dramatique du dialogue fait monter le ton
peu à peu.
Quel est le contenu du discours d'Eliphaz ? Eliphaz
fait l'apologie de la justice divine. Il fait le procès des méchants et des
impies. Il ne met jamais Job parmi eux. Job est un élu (4, 6). Eliphaz
reconnaît la droiture de Job. En fin de discours (ch. 5), il y a promesse de
restauration de Job (v. 18). C'est une parole d'encouragement.
Les méchants sont les ennemis de Job. Job est l'homme
intègre. Les méchants sont ses persécuteurs. Eliphaz parle des hommes pervers
opposés à Job. Les amis de Job sont du côté de Job pour dire du mal des impies
et des méchants. Ils ne confondent pas Job avec ceux-là.
A l'intérieur de cette catégorie d'élus, Job prétend être
innocent de tout péché alors que pour ses amis, il y a une culpabilité même
chez le juste. Le débat théologique est plus fin. Les amis de Job polémiquent
contre lui dans la mesure où il se prétend absolument innocent de tout péché.
Ses amis lui disent : tu n'es pas un pécheur au sens fort du terme mais tu
n'es pas totalement innocent et exempt de tout péché.
Dans la description du sort des méchants, les trois amis
sont durs. Ils mettent Job en garde contre l'endurcissement dans la prétention
à l'innocence absolue qui va le rendre semblable aux méchants. Job leur répond
que cette position est intenable parce que s'il était pécheur, il ne mériterait
pas d'être traité comme les vrais méchants.
Ensuite il y aura une dramatisation. Les amis de Job disent
ce qu'ils pensent des méchants. Le méchant se définit par sa mauvaise conduite.
Il est violent, il accapare les richesses (15, 28). Il habite avec l'injustice.
Il est impie ; il méconnaît Dieu. Job reconnaît que de tels méchants
existent ; le scandale est qu'ils soient prospères. Il n'y a donc pas de
justice. Les amis répondent que les méchants sont malheureux et que leur
prétendu bonheur ne tient pas. On ne bâtit pas un empire sur le mensonge. Ça ne
dure pas et leur malheur sera un véritable tourment - infernal. L'apparence du
bonheur n'est pas un vrai bonheur. C'est le discours moral classique. Dieu est
juste, aussi les méchants seront punis. Le conflit avec Job porte sur ce point
quand Job dit : moi le juste, Dieu me traite comme un méchant.
Les amis répondent qu'il n'est pas traité comme un méchant
parce que le sort des méchants est définitivement perdu alors que Job est face
à une souffrance qui s'inscrit dans
une perspective de conversion. Le péché, que Job ne veut pas reconnaître,
justifie son malheur. Plus encore, ce malheur le fera grandir s'il prend
conscience. Les amis de Job ne l'accusent pas d'être un méchant ; ils le
placent dans une démarche de conversion. Ils le mettent en garde de ne pas faire
comme les impies.
C'est l'objet du dialogue : le malheur de Job est tel
qu'il ne voit pas, momentanément, la valeur de la justice de Dieu. Les amis de
Job lui disent : il y a une justice de Dieu. Les méchants sont punis et il
y a un chemin de conversion dans lequel tu entreras à condition que tu
reconnaisses que tu n'es pas parfait. Corrélativement, les amis de Job disent
le bonheur du fidèle.
Les amis développent le thème de la faiblesse de l'homme.
Cette faiblesse en fait un être de terre et de poussière. Comme tel, il ne peut
pas prétendre à une parfaite innocence. Dans cette vision pessimiste de la
condition humaine, l'homme ne peut pas se présenter devant Dieu dans une
parfaite pureté. Les amis donne un avertissement moral à Job : ta prétention
d'être un juste est sans fondement, nous sommes tous des pécheurs. Donc la
raison du drame de Job est simple : même l'homme le plus pieux et le plus
intègre n'est pas parfait. Il y a une situation de péché dans la condition
humaine, telle que le malheur de l'homme est justifié. On ne peut pas accuser
Dieu d'être injuste même si un juste est dans le malheur. Les amis de Job lui
disent de changer d'attitude ; ils ne lui demandent pas de se purifier des
fautes qu'il n'a pas commise, mais de prendre une autre attitude vis-à-vis de
Dieu : "Il ne faut pas mépriser
la leçon de Shaddaï" (5,17). La peine de Job est une peine éducative.
Aussi, il lui faut accepter la souffrance comme quelque chose par quoi Dieu
vient détruire en nous l'orgueil.
Corrélativement à cette relation à Dieu, il y a la relation
avec les autres. Si Job se convertit, il aura un bonheur supérieur à celui
qu'il avait lui disent ses amis (8,6).
C'est une théologie simple :
le juste est heureux, il bénéficie de son bonheur à condition d'être humble, de
reconnaître sa vie avec Dieu. Il est dans un bonheur réel et dans une position juste par rapport aux autres.
b) Position des amis de Job vis-à-vis de Dieu
1. Dieu est le créateur tout-puissant. C'est le thème
fondamental du livre. Dieu est plus grand que tout. La création est comprise
comme une victoire sur les forces du
chaos. Dieu est tout-puissant, immense.
2. Dieu est juste. Il punit les méchants et récompense les
justes. Ceci n'est pas toujours évident, mais se réalise infailliblement ;
si le méchant prospère momentanément, son bonheur n'a qu'un temps.
3. Dieu assure au monde un ordre équitable. L'ordre du
monde est fondé par Dieu. C'est la raison pour laquelle le malheur vient de la
faute : c'est la position des amis de Job. C'est le contexte : Israël
a péché, il a été en déportation. "Nous
avons péché contre toi". C'est une conception très commune. L'ordre du
monde est le signe de la justice.
4. Dieu est celui qui délivrera l'opprimé des mains du
puissant. Dieu délivre le pauvre. Il fait justice.
5. Pourquoi la souffrance de Job ? Job reçoit un
châtiment de correction. Dieu le punit pour l'améliorer. C'est pour son bien.
Cette correction est juste.
Dans la dramatique du dialogue, plus on avance plus
l'accusation augmente : il se serait enrichi au détriment des autres. Tel
est dans cette première rédaction le plus grand reproche. Dans cette première
rédaction il n'y a pas encore la maladie de Job, son malheur est sa ruine de
Job.
c) La réaction de Job
Job proteste et soutient que tout cela est faux, parce que
ça ne correspond pas à la réalité.
Le discours de Job commence au chapitre 3, un grand et beau
texte en plusieurs parties :
1. Une
plainte : Job maudit le jour de sa naissance et la nuit de sa conception.
Cette malédiction s'oppose à la création. Dieu crée le jour
et c'est une bénédiction. Dans la prière matinale, on bénit Dieu pour le jour
qu'il nous donne. Ici c'est l'inverse : il prie Dieu d'enlever le jour de
sa naissance de la série des jours. C'est déjà une pointe contre la théologie
de la création. C'est indirect mais cela va être développé par Job. La plainte
contient déjà le développement ultérieur. Job dit : "J'accuse Dieu
d'avoir contribué à mon malheur".
2. Des
questions : C'est une série de "pourquoi ?". Job porte sa
plainte. Job est le porte parole de ceux qui sont épuisés : les captifs,
les esclaves, les malades, ceux qui sont en deuil, tous ceux qui aspirent après
la mort sans qu'elle vienne. C'est ce qu'on voit chez les grands souffrants.
3. Une question
à Dieu : Job en vient à nommer le responsable à qui il s'adresse. Le nom de
Dieu ne vient qu'à la fin parce que la question que pose Job est
fondamentalement une question posée à Dieu.
4. Une
douleur : Job dit sa grande souffrance. Il y a des parallèles dans les
psaumes.
La position de Job consiste contester la manière dont Dieu
mène le monde et la raison pour laquelle il a fait l'homme. Cette interrogation
dramatique est ensuite développée dans les dialogues avec les amis.
La position de Job est simple. Il dit à ses amis :
votre théologie de la justice et votre morale, ne sont pas conformes à la
réalité, puisque les méchants triomphent et les justes sont écrasés. Job
renvoie ses amis à la réalité : leur théologie est démentie par les faits.
Le pauvre, qui est juste, est malheureux. Plus encore, la plainte du juste
n'est pas entendue par Dieu.
Les discours s'opposent comme deux regards différents. Les
amis de Job ont raison d'établir une ligne de conduite morale. Job a raison de
dire que cette belle morale n'est pas réalisée.
Les amis disent : l'homme n'est rien face à Dieu, donc
Dieu a raison. Job dit : si l'homme n'est rien, alors Dieu abuse de sa
force, car il s'attaque à plus faible que lui. Au delà du débat moral, il veut
aller jusqu'à la question à Dieu.
Tel est le génie du livre : au lieu de faire un exposé
théologique, il crée un dialogue qui va jusqu'à interroger Dieu. Il demande à
Dieu de répondre.
Job et ses amis ont le même Dieu : le Dieu d'Israël,
le Dieu des Prophètes. Les amis privilégient la soumission à Dieu. Job développe
la protestation. Dans un cas et dans l'autre, Dieu est le Tout-puissant. Job
pose la question de la responsabilité de Dieu : s'il est tout-puissant, il
est responsable. Aussi Job entre en procès contre lui.
Job dit que la justice de Dieu n'est pas juste. Les amis
disent : Dieu est juste. Job rétorque que la conduite de Dieu n'est pas
juste. Le monde est un chaos et Dieu, créateur tout-puissant, est responsable
de ce chaos.
Job soulève une contradiction
dans la théologie de la création ; celle-ci est liée à l'ordre, la
conduite du monde montre que cet ordre n'existe pas. Job construit ce procès de
Dieu en reprenant les textes des prophètes qui présentent un Dieu guerrier. Job
prend au sérieux ces images et conclut que si ces images sont vraies, Dieu est
cruel. C'est une attaque de Job contre la théologie de l'Alliance.
d) La position de Dieu
Le dialogue de Job et des amis n'aboutit pas ; chacun
reste à la même position : aucun n'a convaincu l'autre. Au contraire,
chacun a durci ses positions.
Dieu lui-même intervient
"du sein de la tempête". Ces mots évoquent la théophanie du
Sinaï. Dieu se justifie comme dans une procédure, en posant des questions. Que
dit Dieu de lui-même ?
1. Dieu dit
qu'il est créateur de l'univers. Cette théologie de la création n'est pas
métaphysique (faire quelque chose à partir de rien). C'est une théologie
présentant la création comme mise en ordre du chaos. La théologie de la
création est une théologie dans l'Alliance. Les éléments de la création sont
décrits : la terre, la mer, le céleste... Ceci nous amène à voir que tous
les éléments sont soumis à Dieu. Cela ne répond pas à la question de Job.
La deuxième partie répond plus directement à Job :
même les éléments sauvages sont soumis à Dieu.
Si les forces cosmiques sont soumises à Dieu et si tous les
êtres vivants, même les bêtes sauvages, sont soumis à Dieu, Dieu exerce sa
seigneurie sur tout ce qui échappe à l'homme. Cela a une conséquence sur la
manière dont l'homme doit se situer vis-à-vis de Dieu. Il doit se situer dans l'univers
à sa place. L'homme est dérisoire par rapport aux forces du cosmos. Son savoir
est dérisoire par rapport aux secrets de la nature. Le pouvoir de l'homme est
limité. Par là est manifestée la vanité du procès intenté par Job à Dieu.
Dans l'ensemble de la nature, Dieu maîtrise les forces du
mal. Il y a une maîtrise des événements que l'homme ne voit pas de manière
évidente. Telle est la réponse à Job.
2. Dieu
s'adresse à Job. Il n'y a pas de discours pour les amis de Job.
Vraisemblablement, c'est parce que dans cette rédaction, Dieu confirme la
théologie des amis de Job, qui renvoie l'homme à sa fragilité devant la
puissance de Dieu. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas de parole contre
les amis de Job.
Dans cet esprit, Job répond. la réponse de Job à Dieu est
une parole d'humilité. "J'ai parlé à
la légère..." (40, 4). Job reconnaît l'immensité de Dieu - ce qu'il
savait déjà. Il reconnaît la vanité de son propos contre Dieu : on ne peut
pas accuser Dieu. On n'a pas la vision d'ensemble de Dieu et de son œuvre. Nous
avons ici une référence à la nature ; il n'y a pas de référence à
l'histoire.
Conclusion :
Dans cette rédaction, nous avons un débat théologique sur la création et la
providence. Il y a deux thèses ; celle des amis de Job : la morale
lie le mal moral et le malheur, le bien et le bonheur. Job rétorque : Ce
n'est pas conforme aux faits. Je m'en prends à Dieu. Je mets en cause l'action
de Dieu dans le monde. Réponse de Dieu : Dieu est le maître du monde. Il a
maîtrisé les puissances du mal dans le cosmos, dans la nature.
Conclusion : Le procès intenté à Dieu reste vain. Job y consent et
s'incline.
Mais cela ne répond pas à toutes les questions de Job.
C'est pourquoi le livre a été repris
afin d'essayer de répondre aux questions de Job.
3. Deuxième rédaction des dialogues
Dans la première rédaction, Job était débouté de sa
plainte : il avait été trop présomptueux dans son interrogation, demandant
à Dieu de rendre des comptes sur sa manière de gérer le monde. Job était
présenté comme un juste ordinaire. La deuxième rédaction des dialogue souligne
la justice de Job. Dans le récit en prose on ajoute ce qui la souligne :
Job offre des sacrifices à cause de l'imperfection éventuelle de ses fils. De
même, les malheurs de Job sont justifiés par l'intervention de Satan, qui a pour effet de montrer que
Dieu estime Job.
Le dépouillement de Job devient une épreuve que Dieu lui
donne pour vérifier ce qu'il sait et le manifester publiquement. Le récit en
prose souligne que Job continue de mettre sa confiance en Dieu malgré
l'épreuve. Ces ajouts ont pour effet de donner à Job une grande intégrité. Dans
la première rédaction des dialogues, Job était un juste ordinaire, ici sa
justice est la plus haute qui puisse être. L'épreuve est dans sa chair, mais en
aucun cas, il ne maudit Dieu.
1°. Textes introduits dans les dialogues
Dans cette rédaction sont inscrits un certain nombre de
plaintes adressées à Dieu. Dans la première écriture, Job et ses amis parlaient
de Dieu. Ici, Job s'adresse à Dieu directement.
1. Au chapitre
6, à la lamentation de Job, on rajoute "j'aurai
cette consolation de n'avoir pas renié les décrets saints" (6,10).
Tout au long du chapitre 6, Job est tellement malheureux qu'il souhaite mourir.
Ici, dans le rajout, Job dit que sa joie est en Dieu, car au moment de sa mort,
il n'aura jamais renié la Loi de Dieu.
2. Au chapitre
7, Job dit à Dieu son accablement, à cause de son mal (7, 1-21). Job consent à
se reconnaître, d'une certaine manière, coupable. La prière de Job est celle de
l'homme fragile disant à Dieu que sa souffrance risque de le conduire à la
mort. C'est un appel à la bonté de Dieu.
4. Au chapitre
9, il y a une louange au Dieu créateur et à sa puissance (9, 5-13). Ce n'est
pas en harmonie avec le contexte du premier récit où Job contestait la
création. Puis, (9, 25) Job s'adresse à Dieu en "tu". Avec humilité, Job admet qu'il n'est pas parfait.
5. Au chapitre
10, Job s'adresse à Dieu et reconnaît qu'il a reçu de lui la vie. Job dit être
proche de la mort. A ce titre, il a droit à une intervention particulière de
Dieu pour lui accorder un répit dans sa souffrance. L'aveu implicite d'une
faute conduit Job dans son malheur à ne plus accuser Dieu d'injustice.
Job n'accuse pas Dieu d'être injuste, mais il l'accuse de
dureté dans l'application de la Loi.
6. Au chapitre
12, nous avons un développement qui célèbre la puissance du Créateur capable de
renverser les puissants de leur trône (12,11-25). Job est le porte parole des
pauvres.
7. Au chapitre
13 et 14, il y a un nouveau passage adressé à Dieu. On retrouve dans cet
ensemble une reconnaissance de la culpabilité de Job (les fautes de sa
jeunesse). Il souligne la fragilité humaine. Sa prière demande un temps de
répit.
8. Au chapitre
16, une autre modification change la tonalité du premier discours. Job met Dieu
face à sa mort dans une situation de témoin qui devra garder la mémoire de son
malheur. Job demande à Dieu d'être avec lui, témoin ou avocat (16, 18).
9. Au chapitre
17, Job demande à Dieu de lui accorder sa caution dans le procès "place toi-même ma caution près de
toi". (17, 3-4).
10. Au chapitre
19, la confiance en Dieu est telle que Job appelle Dieu son Goël, le défenseur, l'intercesseur. Dans
le droit de l'époque, il y avait un goël,
le défenseur, l'intercesseur qui agissait au prix même de sa vie. Job dans son
espoir de guérison compte sur Dieu pour qu'il soit son défenseur. Ce faisant,
les amis sont considérés comme des ennemis de Dieu.
11. Au chapitre 24, il y a plusieurs ajouts
sur le malheur du monde. On ajoute des complaintes sur les pauvres et en même
temps, il est dit que Dieu va faire disparaître les méchants.
12. Au chapitre
26, il y a une célébration de la création et de la puissance de Dieu contre les
forces mauvaises (26,5-6). Cela enlève l'effet de contestation par Job de la
création de Dieu. Ici Job admire la création. La Bible de Jérusalem déplace les
versets pour les mettre sur les lèvres de Bildad de Shoua. Il est plus simple
de les considérer comme un ajout.
13. Au chapitre
27, nous lisons une louange de l'action de Dieu et une condamnation des
méchants. Nous avons ici, également, un déplacement dans la Bible de Jérusalem,
pour éviter la contradiction. C'est un ajout.
14. Le chapitre
28 oppose le savoir de l'homme avec la Sagesse dont la provenance est
mystérieuse : "la sagesse d'où
provient-elle ?" (28, 20) et "Dieu
seul en a discerné le chemin" (28, 23). La Sagesse est accessible
seulement à Dieu. Cela a pour effet de débouter le discours des amis de Job qui
parlaient au nom de la Sagesse. En effet, dire que Dieu seul connaît la Sagesse
c'est dire que les amis de Job ne la possèdent pas. Job va se retourner contre
ses amis.
15. Au chapitre
29, Job évoque son bonheur perdu et fait le rappel de la justice, en
particulier de sa sollicitude pour les pauvres. C'est le portrait idéal du juste.
16. Au chapitre
31, le même élément est repris avec le "tu"
à Dieu et l'affirmation de la justice de Job.
17. Au chapitre
42, il y a une autre conclusion que lors de la première écriture. Ici, Dieu
intervient contre les amis de Job : "vous
n'avez pas bien parlé de moi comme l'a fait mon serviteur Job". "Job
priera pour vous". Les amis sont réprimandés. Dans la première
rédaction, Job reconnaissait avoir parlé à la légère ; il était excusable,
car c'était dans la souffrance. Dans la deuxième rédaction, il est justifié par
Dieu. C'est un changement
théologique.
2°. La théologie de cette nouvelle rédaction.
Dans la première rédaction, comme on est dans un
monothéisme strict, le malheur est rattaché à l'action de Dieu. Job voit en
Dieu celui qui lui envoie le malheur et le persécute. Il se présente comme une
victime de Dieu. Il reproche à ses amis de prendre parti contre lui. A la fin,
l'intervention de Dieu manifeste sa souveraine puissance devant laquelle Job
s'efface. Dans le débat théologique de la première rédaction, les amis de Job
ont raison. Ils disent la justice et la toute puissance de Dieu. Job n'a pas le
droit d'accuser Dieu.
Dans la deuxième rédaction, la figure de Job est valorisée
et les alliances changent. Dieu passe du côté de Job. Il se tait pendant les
dialogues et intervient à la fin en position de juge. La rédaction insiste sur
l'intégrité de Job et sur la proximité de Dieu. Non seulement, Job est intègre,
mais il est l'ami de Dieu. Le problème du mal est posé à son extrême.
La droiture de Job est soulignée par sa réaction à
l'épreuve et à la maladie. Le défi de Satan permet de répondre à l'objection
d'une fidélité superficielle : Job n'est pas fidèle à Dieu par intérêt. Il
est fidèle à Dieu par conviction intime. Job est présenté comme celui qui dit
la vérité.
La position est différente : il n'est plus accusé par
ses amis à cause de son orgueil. Il est humble et dit la vérité même si elle
dérange. Job veut être fidèle à Dieu. Il est solidaire des pauvres. Il
reconnaît, en lui, un certain péché. Ce n'est plus son innocence qui est
première, mais la proximité de Dieu. C'est pourquoi Job n'accuse pas Dieu de le
persécuter, mais simplement il fait remarquer que la sévérité de la justice
risque de le faire mourir.
C'est la raison pour laquelle il s'adresse à Dieu. Il n'y a
plus d'accusation, mais le ton de la douleur reste. L'accent est mis sur la
douleur et non sur la révolte. Il y a éloge de la création. Job évoque l'action
de Dieu contre le mal : la maîtrise des éléments. C'était dit dans le
discours sur Dieu, mais là c'est Job qui le dit lui-même. Enfin, nous voyons
Job mettre son espérance en Dieu. C'est pourquoi nous trouvons des éléments
d'espérance dont l'essentiel est au chapitre 19 : "mon rédempteur est vivant...". Corrélativement à cette
position de Job, les amis de Job deviennent les adversaires de Dieu.
Dans ces ajouts, Job s'adresse à Dieu. La position des amis
de Job est mauvaise parce qu'ils prétendent avoir la Sagesse. La Sagesse est
inaccessible : la parole de Dieu sans analogie avec la parole humaine. La
parole finale est à Dieu.
3°. Situation de cette théologie
Job est innocent et droit, dans l'amitié de Dieu. Job
devient le porte-parole de ceux qui souffrent. Si nous comparons ce texte au
psautier, nous voyons que la plainte de Job correspond à la prière des
pauvres : ceux qui n'ont plus d'argent, ceux qui sont malades, les
mourants, les désespérés, les persécutés. Les psaumes donnent la parole à ces
pauvres en montrant qu'ils n'ont que leur foi et leur espérance en Dieu. Par là
même, il y a une identification entre les pauvres et les justes ; et
corrélativement, l'espérance dans un renversement de situation. Dans les
psaumes , la plainte prend le ton du reproche : "pourquoi Seigneur ?". Dans les psaumes, il y a
également célébration de l'action créatrice de Dieu.
Le psautier a été écrit à Jérusalem en situation
d'humiliation, après l'exil. On peut rapprocher la deuxième rédaction des
dialogues de Job à la situation que l'on trouve dans le livre de l'Exode. Dans
le livre de l'Exode, on nous présente le peuple élu comme le peuple des
pauvres. Ils sont opprimés par Pharaon. Dieu décide de sauver son peuple. Les
deux parallèles bibliques de cette couche rédactionnelle du livre de Job sont
donc les psaumes et la rédaction ultime du Pentateuque au moment où l'on fait
de la libération d'Égypte la figure archétypale du salut.
- Cela renvoie à la situation de Jérusalem : la
domination perse. La situation est dure. On ne peut plus expliquer la
destruction de la ville par le péché. On ne peut plus tenir ce discours
culpabilisant.
Ceci est confirmé par l'introduction de Satan, trace du
dualisme perse pour qui Satan est un agent du mal.
L'explication est que la
souffrance est acceptée par Dieu pour éprouver la fidélité du peuple. Dieu est
fier de Job ; Dieu est fier de son peuple et cite Israël en exemple, son
premier né. Mais pour répondre au soupçon du Satan, il l'éprouve pour
manifester sa fidélité. Or le témoin de cette véritable fidélité c'est le
peuple des pauvres, ceux qui s'expriment et qui prient quotidiennement.
4. Quatrième rédaction
1. Des ajouts
ont modifié une fois encore le sens du livre. Les ajouts sont pour l'essentiel
les grands discours d'Elihu - ch.
32, 33, 34, 35, 36, 37.
Des éléments sont aussi ajoutés dans le discours sur la
Sagesse. Dans le discours précédent, la Sagesse était inaccessible. Là, la
Sagesse est accessible : v. 28 :
"La crainte de Dieu voilà la sagesse, fuir le mal voilà pour toi
l'intelligence". La Sagesse est identifiée à la crainte de Dieu. C'est
un nouveau thème, lié à la droiture morale. Cette Sagesse est dans la Loi.
2. La méthode
change : précédemment, on faisait dire autre chose à Job, ici on introduit
un quatrième personnage, Elihu, qui condamne Job. La critique porte également
sur le manque de conviction des amis de Job. Ce n'est pas une critique de
l'argumentation des amis. Elle était bonne, mais n'a pas été dite avec assez de
force.
Pour Elihu, la souffrance infligée par Dieu est une
correction de l'orgueil de Job. Cette correction est bonne, parce qu'elle a
pour effet de l'empêcher de tomber dans la mort. Job devrait remercier Dieu de
toutes les faveurs qui viennent avec la correction. Elihu accuse Job d'avoir
fait partie des méchants (ch. 34, 7 et 8). Comme Dieu rétribue en toute
justice, Job a le sort qu'il mérite. (ch. 35,8) : "Tes semblables qu'affecte la méchanceté" ; "Tu ne
faisais pas justice des méchants, tu décevais le droit de l'orphelin"
v. 17 ; ch. 36, 18- 21 : Job
est identifié aux méchants.
Face à Job qui se plaignait du silence de Dieu, de son
absence qui laisse faire le mal, Elihu déclare que Dieu est ni absent ni
silencieux : c'est Job qui n'écoute pas quand Dieu parle. 33,14.
Elihu développe la doctrine de la rétribution : Dieu
corrige et punit le péché. 33,19 : "il
le corrige sur son grabat..." Job est renvoyé à sa culpabilité, ch.
35,5- 12.
Elihu reprend ce qui était dit de l'œuvre créatrice de Dieu
pour manifester la toute puissance de Dieu et sa justice implacable. Job est
placé en adversaire de Dieu. ch. 39 : Job est mis en demeure de répondre à
Dieu sur un ton de reproches. Job critique Dieu. Il s'est opposé à son
jugement. ch. 40, v. 7- 8 : "veux-tu
vraiment casser mon jugement ?" Dieu peut dompter les puissances
du mal (Behémoth et Léviathan). Job voulant faire le procès de Dieu était dans
un orgueil insensé. Il manquait de crainte de Dieu. Job était dépourvu de
sagesse. C'est la conclusion.
Job confirme sa petitesse et la folie de sa prétention. Il
se soumet ; il reconnaît son ignorance, son erreur. Ce qu'il savait de
Dieu était imparfait. Il se rétracte. Il retire ses paroles. Il fait le geste
de la pénitence "sur la poussière et
sur la cendre" .
Job qui avait raison dans la deuxième rédaction redevient
adversaire de Dieu et n'a pas raison. Dans la première rédaction, les amis de
Job sont des amis : ils lui parlent, ils s'adressent à lui, ils veulent
aider Job. Là Elihu ne dialogue pas avec Job dans son malheur. Il lui rappelle
tous ses torts et il l'accable.
3. Cette
théologie s'inscrit dans un nouveau contexte. Pour la déterminer, le discours
sur la Sagesse peut servir de clé. Ce thème se trouve dans plusieurs textes et
en particulier dans le Siracide (Ecclésiastique) écrit au tournant du deuxième
siècle. La Sagesse y est liée à la crainte du Seigneur. C'est un livre plein de
moralisme. C'est un discours sur l'humilité. Nous pouvons trouver des
parallèles entre le moralisme du Siracide et celui des discours d'Elihu.
Il y a également le livre de Tobie. Dans le discours
d'Elihu, il y a un texte qui correspond au livre de Tobie. Quand le juste est
malade et souffrant, près de lui se trouve un ange, un médiateur (Job 33,23).
Il y a un troisième parallèle : le livre de Baruch. Il
y a à la fois un lien strict entre le péché et le malheur et une identification
de la sagesse avec la Torah.
Cela donne une indication sur cette nouvelle rédaction qui
aurait eu lieu aux 2e et 3e siècles. La théologie n'est
plus celle du temps précédent où le peuple était pauvre. On est dans une
situation dont le contexte politique permet une relative autonomie de
Jérusalem. Il n'y a pas d'oppression. On n'a plus besoin de dire que les
pauvres sont les amis de Dieu. Par contre, le débat avec l'hellénisation
commence.
Il y a là tension dans la
communauté juive entre ceux qui sont pour l'hellénisation liés aux rois
d'Égypte et les autres. Manifestement, le discours sur la Sagesse est une
manière de rejeter la prétention à la Sagesse du monde grec. C'est une des
explications de la présence de Béhémoth et de Léviathan dans le dernier
discours de Dieu dans le livre de Job. Ils seraient à la fois des monstres
primitifs, des figures de puissances politiques et des animaux de type égyptien
(crocodile et hippopotame).
Conclusion
La lecture exégétique a pour effet de permettre de
comprendre la diversité du livre de Job et même ses incohérences. On les
explique par la présence de réécritures en plusieurs couches. 1. Une légende,
un texte court. 2. Une première rédaction des dialogues. Elle correspond à un
débat à Jérusalem concernant le statut de l'Exil. 3. Une deuxième rédaction des
dialogues valorise Job au maximum. C'est dans un autre contexte social :
Job y devient le porte-parole de ceux qui souffrent. 4. Dans une troisième
rédaction des dialogues, Job est accablé ; il y a un durcissement de la
première rédaction sous l'influence d'un autre contexte politique et social.
Le livre donne pour cette raison une figure de Job très
contrastée posant la question de l'action de Dieu dans le malheur.
L'exégèse historico-critique
analyse le texte dans ses contradictions et se réfère à des documents qui se
situent dans une histoire où se trouve est toujours la même question : la
présence du mal dans le monde.
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