06/02/2012

Le livre de Job : un manifeste de l'espérance et de la fidélité à Dieu…

5ème dimanche du temps ordinaire

Chers amis, bonjour !
Il y a des jours où l'on a envie de tout envoyer "bouler", tellement la vie nous paraît injuste, ingrate. C'est à se demander si Dieu ne se complaît pas de nos malheurs alors qu'on estime avoir fait tout ce qu'il fallait pour obtenir son indulgence ou ses grâces ! Cette attitude est parfois la nôtre au quotidien: quelle est notre posture devant notre propre souffrance? celle des autres ?
Le livre de Job : une réponse à la question de la souffrance humaine ? Peut-être pas seulement, mais plutôt l’indication d’un chemin et d’une certitude : Dieu, Lui seul y compris et surtout au plus profond de notre détresse et de notre désespoir. Mais pour vous donner une vision globale du Livre de Job, je n’ai pu résister à l’envie de vous livrer cette « lecture théologique du Livre de Job » élaborée par le RP Jean-Michel Maldamé op :


Première Lecture - Job 7, 1 ... 7

Job prit la parole et dit :
1 « Vraiment, la vie de l'homme sur la terre est une corvée,
il fait des journées de manœuvre.
2 Comme l'esclave qui désire un peu d'ombre,
comme le manœuvre qui attend sa paye,
3 depuis des mois je n'y ai gagné que du néant,
je ne compte que des nuits de souffrance.
4 A peine couché, je me dis :
Quand pourrai-je me lever ?
Le soir n'en finit pas :
je suis envahi de cauchemars jusqu'à l'aube.
6 Mes jours sont plus rapides que la navette du tisserand,
ils s'achèvent quand il n'y a plus de fil.
7 Souviens-toi, Seigneur : ma vie n'est qu'un souffle,
mes yeux ne verront plus le bonheur. »

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Lecture théologique du Livre de Job
Jean-Michel Maldamé op

1. Le récit archaïque
Le premier récit est simple. Il présente Job et sa richesse. Le personnage de Job est mentionné avec d'autres par Ezéchiel comme figure de l'homme qui a réussi dans la soumission de Dieu. Le malheur tombe sur lui. Job se retrouve sans rien. Le récit montre que Yahvé restaure la situation de Job. Cette restauration étant faite, Job reçoit des visites et retrouve sa condition première. Dans ce récit, le personnage central n'est pas Job. Lequel est passif. L'acteur principal est Yahvé. Il lui a infligé le malheur, puis il l'a restauré dans sa situation.
La théologie est celle de la souveraineté de Dieu et sa parfaite liberté. Dieu agit en toute liberté. Cette théologie est fruste : Dieu donne, Dieu reprend.
Ce texte ne fait pas allusion au rapport qu'il y a entre la prospérité et la valeur morale. Si Job est riche, on ne sait pas pourquoi : Dieu a donné et Dieu va redonner. On dit simplement que pauvreté et richesse, bonheur et malheur dépendent de Dieu. Le sort de l'homme est dans les mains de Dieu.
Dieu est l'acteur, Job est le bénéficiaire. Il est là, figure légendaire pour montrer que tout dépend de Dieu. Dieu peut donner, Dieu peut reprendre.

2. Première rédaction des dialogues

La première rédaction comporte 30 chapitres ; elle constitue un véritable débat théologique, enraciné dans la théologie précédente selon laquelle Dieu donne et reprend en sa toute-puissance et liberté. Il interroge : quelle est la justice de Dieu dans ce comportement de domination ?
Pour le comprendre, il faut nous défaire de la lecture moderne, qui voit en Job le révolté. Job est porte parole d'une thèse théologique exposée par voie d'échange. Le débat est conclu par Dieu qui donne tort à la thèse de Job. Job le reconnaît.
Le livre ne pose pas la question du mal de manière intemporelle. Il faut donc savoir quelle est la situation du peuple élu après l'exil, en situation de vassalité. Deux thèses s'affrontent. Certains disent : nous avons péché, Dieu nous a punis. D'autres disent : nous sommes les justes, le peuple élu, Dieu ne nous donne pas ce à quoi nous avons droit ; donc Dieu est injuste. Chacun plaide. Le procès amène à la sentence, donnée par Dieu. Elle invalide la thèse de Job : on ne peut pas accuser Dieu d'injustice, même si on ne comprend pas.

a) les amis de Job, leur position vis-à-vis de Job
Dans cette lecture, les amis de Job sont véritablement des amis, comme l'indique le récit en prose. Les amis prennent le deuil. Ils restent près de lui. Le premier à prendre la parole est Eliphaz de Téman (ch. 4). Vu la souffrance de Job, il ne veut pas l'accabler par un discours. Job a parlé le premier. Il lui répond. A la fin (5,27), il donne un conseil ; c'est une parole de bienveillance. La dramatique du dialogue fait monter le ton peu à peu.
Quel est le contenu du discours d'Eliphaz ? Eliphaz fait l'apologie de la justice divine. Il fait le procès des méchants et des impies. Il ne met jamais Job parmi eux. Job est un élu (4, 6). Eliphaz reconnaît la droiture de Job. En fin de discours (ch. 5), il y a promesse de restauration de Job (v. 18). C'est une parole d'encouragement.
Les méchants sont les ennemis de Job. Job est l'homme intègre. Les méchants sont ses persécuteurs. Eliphaz parle des hommes pervers opposés à Job. Les amis de Job sont du côté de Job pour dire du mal des impies et des méchants. Ils ne confondent pas Job avec ceux-là.
A l'intérieur de cette catégorie d'élus, Job prétend être innocent de tout péché alors que pour ses amis, il y a une culpabilité même chez le juste. Le débat théologique est plus fin. Les amis de Job polémiquent contre lui dans la mesure où il se prétend absolument innocent de tout péché. Ses amis lui disent : tu n'es pas un pécheur au sens fort du terme mais tu n'es pas totalement innocent et exempt de tout péché.
Dans la description du sort des méchants, les trois amis sont durs. Ils mettent Job en garde contre l'endurcissement dans la prétention à l'innocence absolue qui va le rendre semblable aux méchants. Job leur répond que cette position est intenable parce que s'il était pécheur, il ne mériterait pas d'être traité comme les vrais méchants.
Ensuite il y aura une dramatisation. Les amis de Job disent ce qu'ils pensent des méchants. Le méchant se définit par sa mauvaise conduite. Il est violent, il accapare les richesses (15, 28). Il habite avec l'injustice. Il est impie ; il méconnaît Dieu. Job reconnaît que de tels méchants existent ; le scandale est qu'ils soient prospères. Il n'y a donc pas de justice. Les amis répondent que les méchants sont malheureux et que leur prétendu bonheur ne tient pas. On ne bâtit pas un empire sur le mensonge. Ça ne dure pas et leur malheur sera un véritable tourment - infernal. L'apparence du bonheur n'est pas un vrai bonheur. C'est le discours moral classique. Dieu est juste, aussi les méchants seront punis. Le conflit avec Job porte sur ce point quand Job dit : moi le juste, Dieu me traite comme un méchant.
Les amis répondent qu'il n'est pas traité comme un méchant parce que le sort des méchants est définitivement perdu alors que Job est face à une souffrance qui s'inscrit dans une perspective de conversion. Le péché, que Job ne veut pas reconnaître, justifie son malheur. Plus encore, ce malheur le fera grandir s'il prend conscience. Les amis de Job ne l'accusent pas d'être un méchant ; ils le placent dans une démarche de conversion. Ils le mettent en garde de ne pas faire comme les impies.
C'est l'objet du dialogue : le malheur de Job est tel qu'il ne voit pas, momentanément, la valeur de la justice de Dieu. Les amis de Job lui disent : il y a une justice de Dieu. Les méchants sont punis et il y a un chemin de conversion dans lequel tu entreras à condition que tu reconnaisses que tu n'es pas parfait. Corrélativement, les amis de Job disent le bonheur du fidèle.
Les amis développent le thème de la faiblesse de l'homme. Cette faiblesse en fait un être de terre et de poussière. Comme tel, il ne peut pas prétendre à une parfaite innocence. Dans cette vision pessimiste de la condition humaine, l'homme ne peut pas se présenter devant Dieu dans une parfaite pureté. Les amis donne un avertissement moral à Job : ta prétention d'être un juste est sans fondement, nous sommes tous des pécheurs. Donc la raison du drame de Job est simple : même l'homme le plus pieux et le plus intègre n'est pas parfait. Il y a une situation de péché dans la condition humaine, telle que le malheur de l'homme est justifié. On ne peut pas accuser Dieu d'être injuste même si un juste est dans le malheur. Les amis de Job lui disent de changer d'attitude ; ils ne lui demandent pas de se purifier des fautes qu'il n'a pas commise, mais de prendre une autre attitude vis-à-vis de Dieu : "Il ne faut pas mépriser la leçon de Shaddaï" (5,17). La peine de Job est une peine éducative. Aussi, il lui faut accepter la souffrance comme quelque chose par quoi Dieu vient détruire en nous l'orgueil.
Corrélativement à cette relation à Dieu, il y a la relation avec les autres. Si Job se convertit, il aura un bonheur supérieur à celui qu'il avait lui disent ses amis (8,6).
C'est une théologie simple : le juste est heureux, il bénéficie de son bonheur à condition d'être humble, de reconnaître sa vie avec Dieu. Il est dans un bonheur réel et dans une position juste par rapport aux autres.

b) Position des amis de Job vis-à-vis de Dieu
1. Dieu est le créateur tout-puissant. C'est le thème fondamental du livre. Dieu est plus grand que tout. La création est comprise comme une victoire sur les forces du chaos. Dieu est tout-puissant, immense.
2. Dieu est juste. Il punit les méchants et récompense les justes. Ceci n'est pas toujours évident, mais se réalise infailliblement ; si le méchant prospère momentanément, son bonheur n'a qu'un temps.
3. Dieu assure au monde un ordre équitable. L'ordre du monde est fondé par Dieu. C'est la raison pour laquelle le malheur vient de la faute : c'est la position des amis de Job. C'est le contexte : Israël a péché, il a été en déportation. "Nous avons péché contre toi". C'est une conception très commune. L'ordre du monde est le signe de la justice.
4. Dieu est celui qui délivrera l'opprimé des mains du puissant. Dieu délivre le pauvre. Il fait justice.
5. Pourquoi la souffrance de Job ? Job reçoit un châtiment de correction. Dieu le punit pour l'améliorer. C'est pour son bien. Cette correction est juste.
Dans la dramatique du dialogue, plus on avance plus l'accusation augmente : il se serait enrichi au détriment des autres. Tel est dans cette première rédaction le plus grand reproche. Dans cette première rédaction il n'y a pas encore la maladie de Job, son malheur est sa ruine de Job.

c) La réaction de Job
Job proteste et soutient que tout cela est faux, parce que ça ne correspond pas à la réalité.
Le discours de Job commence au chapitre 3, un grand et beau texte en plusieurs parties :
1. Une plainte : Job maudit le jour de sa naissance et la nuit de sa conception.
Cette malédiction s'oppose à la création. Dieu crée le jour et c'est une bénédiction. Dans la prière matinale, on bénit Dieu pour le jour qu'il nous donne. Ici c'est l'inverse : il prie Dieu d'enlever le jour de sa naissance de la série des jours. C'est déjà une pointe contre la théologie de la création. C'est indirect mais cela va être développé par Job. La plainte contient déjà le développement ultérieur. Job dit : "J'accuse Dieu d'avoir contribué à mon malheur".
2. Des questions : C'est une série de "pourquoi ?". Job porte sa plainte. Job est le porte parole de ceux qui sont épuisés : les captifs, les esclaves, les malades, ceux qui sont en deuil, tous ceux qui aspirent après la mort sans qu'elle vienne. C'est ce qu'on voit chez les grands souffrants.
3. Une question à Dieu : Job en vient à nommer le responsable à qui il s'adresse. Le nom de Dieu ne vient qu'à la fin parce que la question que pose Job est fondamentalement une question posée à Dieu.
4. Une douleur : Job dit sa grande souffrance. Il y a des parallèles dans les psaumes.
La position de Job consiste contester la manière dont Dieu mène le monde et la raison pour laquelle il a fait l'homme. Cette interrogation dramatique est ensuite développée dans les dialogues avec les amis.
La position de Job est simple. Il dit à ses amis : votre théologie de la justice et votre morale, ne sont pas conformes à la réalité, puisque les méchants triomphent et les justes sont écrasés. Job renvoie ses amis à la réalité : leur théologie est démentie par les faits. Le pauvre, qui est juste, est malheureux. Plus encore, la plainte du juste n'est pas entendue par Dieu.
Les discours s'opposent comme deux regards différents. Les amis de Job ont raison d'établir une ligne de conduite morale. Job a raison de dire que cette belle morale n'est pas réalisée.
Les amis disent : l'homme n'est rien face à Dieu, donc Dieu a raison. Job dit : si l'homme n'est rien, alors Dieu abuse de sa force, car il s'attaque à plus faible que lui. Au delà du débat moral, il veut aller jusqu'à la question à Dieu.
Tel est le génie du livre : au lieu de faire un exposé théologique, il crée un dialogue qui va jusqu'à interroger Dieu. Il demande à Dieu de répondre.
Job et ses amis ont le même Dieu : le Dieu d'Israël, le Dieu des Prophètes. Les amis privilégient la soumission à Dieu. Job développe la protestation. Dans un cas et dans l'autre, Dieu est le Tout-puissant. Job pose la question de la responsabilité de Dieu : s'il est tout-puissant, il est responsable. Aussi Job entre en procès contre lui.
Job dit que la justice de Dieu n'est pas juste. Les amis disent : Dieu est juste. Job rétorque que la conduite de Dieu n'est pas juste. Le monde est un chaos et Dieu, créateur tout-puissant, est responsable de ce chaos.
Job soulève une contradiction dans la théologie de la création ; celle-ci est liée à l'ordre, la conduite du monde montre que cet ordre n'existe pas. Job construit ce procès de Dieu en reprenant les textes des prophètes qui présentent un Dieu guerrier. Job prend au sérieux ces images et conclut que si ces images sont vraies, Dieu est cruel. C'est une attaque de Job contre la théologie de l'Alliance.

d) La position de Dieu
Le dialogue de Job et des amis n'aboutit pas ; chacun reste à la même position : aucun n'a convaincu l'autre. Au contraire, chacun a durci ses positions.
Dieu lui-même intervient "du sein de la tempête". Ces mots évoquent la théophanie du Sinaï. Dieu se justifie comme dans une procédure, en posant des questions. Que dit Dieu de lui-même ?
1. Dieu dit qu'il est créateur de l'univers. Cette théologie de la création n'est pas métaphysique (faire quelque chose à partir de rien). C'est une théologie présentant la création comme mise en ordre du chaos. La théologie de la création est une théologie dans l'Alliance. Les éléments de la création sont décrits : la terre, la mer, le céleste... Ceci nous amène à voir que tous les éléments sont soumis à Dieu. Cela ne répond pas à la question de Job.
La deuxième partie répond plus directement à Job : même les éléments sauvages sont soumis à Dieu.
Si les forces cosmiques sont soumises à Dieu et si tous les êtres vivants, même les bêtes sauvages, sont soumis à Dieu, Dieu exerce sa seigneurie sur tout ce qui échappe à l'homme. Cela a une conséquence sur la manière dont l'homme doit se situer vis-à-vis de Dieu. Il doit se situer dans l'univers à sa place. L'homme est dérisoire par rapport aux forces du cosmos. Son savoir est dérisoire par rapport aux secrets de la nature. Le pouvoir de l'homme est limité. Par là est manifestée la vanité du procès intenté par Job à Dieu.
Dans l'ensemble de la nature, Dieu maîtrise les forces du mal. Il y a une maîtrise des événements que l'homme ne voit pas de manière évidente. Telle est la réponse à Job.
2. Dieu s'adresse à Job. Il n'y a pas de discours pour les amis de Job. Vraisemblablement, c'est parce que dans cette rédaction, Dieu confirme la théologie des amis de Job, qui renvoie l'homme à sa fragilité devant la puissance de Dieu. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas de parole contre les amis de Job.
Dans cet esprit, Job répond. la réponse de Job à Dieu est une parole d'humilité. "J'ai parlé à la légère..." (40, 4). Job reconnaît l'immensité de Dieu - ce qu'il savait déjà. Il reconnaît la vanité de son propos contre Dieu : on ne peut pas accuser Dieu. On n'a pas la vision d'ensemble de Dieu et de son œuvre. Nous avons ici une référence à la nature ; il n'y a pas de référence à l'histoire.

Conclusion : Dans cette rédaction, nous avons un débat théologique sur la création et la providence. Il y a deux thèses ; celle des amis de Job : la morale lie le mal moral et le malheur, le bien et le bonheur. Job rétorque : Ce n'est pas conforme aux faits. Je m'en prends à Dieu. Je mets en cause l'action de Dieu dans le monde. Réponse de Dieu : Dieu est le maître du monde. Il a maîtrisé les puissances du mal dans le cosmos, dans la nature. Conclusion : Le procès intenté à Dieu reste vain. Job y consent et s'incline.
Mais cela ne répond pas à toutes les questions de Job. C'est pourquoi le livre a été repris afin d'essayer de répondre aux questions de Job.

3. Deuxième rédaction des dialogues
Dans la première rédaction, Job était débouté de sa plainte : il avait été trop présomptueux dans son interrogation, demandant à Dieu de rendre des comptes sur sa manière de gérer le monde. Job était présenté comme un juste ordinaire. La deuxième rédaction des dialogue souligne la justice de Job. Dans le récit en prose on ajoute ce qui la souligne : Job offre des sacrifices à cause de l'imperfection éventuelle de ses fils. De même, les malheurs de Job sont justifiés par l'intervention de Satan, qui a pour effet de montrer que Dieu estime Job.
Le dépouillement de Job devient une épreuve que Dieu lui donne pour vérifier ce qu'il sait et le manifester publiquement. Le récit en prose souligne que Job continue de mettre sa confiance en Dieu malgré l'épreuve. Ces ajouts ont pour effet de donner à Job une grande intégrité. Dans la première rédaction des dialogues, Job était un juste ordinaire, ici sa justice est la plus haute qui puisse être. L'épreuve est dans sa chair, mais en aucun cas, il ne maudit Dieu.

1°. Textes introduits dans les dialogues
Dans cette rédaction sont inscrits un certain nombre de plaintes adressées à Dieu. Dans la première écriture, Job et ses amis parlaient de Dieu. Ici, Job s'adresse à Dieu directement.
1. Au chapitre 6, à la lamentation de Job, on rajoute "j'aurai cette consolation de n'avoir pas renié les décrets saints" (6,10). Tout au long du chapitre 6, Job est tellement malheureux qu'il souhaite mourir. Ici, dans le rajout, Job dit que sa joie est en Dieu, car au moment de sa mort, il n'aura jamais renié la Loi de Dieu.
2. Au chapitre 7, Job dit à Dieu son accablement, à cause de son mal (7, 1-21). Job consent à se reconnaître, d'une certaine manière, coupable. La prière de Job est celle de l'homme fragile disant à Dieu que sa souffrance risque de le conduire à la mort. C'est un appel à la bonté de Dieu.
4. Au chapitre 9, il y a une louange au Dieu créateur et à sa puissance (9, 5-13). Ce n'est pas en harmonie avec le contexte du premier récit où Job contestait la création. Puis, (9, 25) Job s'adresse à Dieu en "tu". Avec humilité, Job admet qu'il n'est pas parfait.
5. Au chapitre 10, Job s'adresse à Dieu et reconnaît qu'il a reçu de lui la vie. Job dit être proche de la mort. A ce titre, il a droit à une intervention particulière de Dieu pour lui accorder un répit dans sa souffrance. L'aveu implicite d'une faute conduit Job dans son malheur à ne plus accuser Dieu d'injustice.
Job n'accuse pas Dieu d'être injuste, mais il l'accuse de dureté dans l'application de la Loi.
6. Au chapitre 12, nous avons un développement qui célèbre la puissance du Créateur capable de renverser les puissants de leur trône (12,11-25). Job est le porte parole des pauvres.
7. Au chapitre 13 et 14, il y a un nouveau passage adressé à Dieu. On retrouve dans cet ensemble une reconnaissance de la culpabilité de Job (les fautes de sa jeunesse). Il souligne la fragilité humaine. Sa prière demande un temps de répit.
8. Au chapitre 16, une autre modification change la tonalité du premier discours. Job met Dieu face à sa mort dans une situation de témoin qui devra garder la mémoire de son malheur. Job demande à Dieu d'être avec lui, témoin ou avocat (16, 18).
9. Au chapitre 17, Job demande à Dieu de lui accorder sa caution dans le procès "place toi-même ma caution près de toi". (17, 3-4).
10. Au chapitre 19, la confiance en Dieu est telle que Job appelle Dieu son Goël, le défenseur, l'intercesseur. Dans le droit de l'époque, il y avait un goël, le défenseur, l'intercesseur qui agissait au prix même de sa vie. Job dans son espoir de guérison compte sur Dieu pour qu'il soit son défenseur. Ce faisant, les amis sont considérés comme des ennemis de Dieu.
11. Au chapitre 24, il y a plusieurs ajouts sur le malheur du monde. On ajoute des complaintes sur les pauvres et en même temps, il est dit que Dieu va faire disparaître les méchants.
12. Au chapitre 26, il y a une célébration de la création et de la puissance de Dieu contre les forces mauvaises (26,5-6). Cela enlève l'effet de contestation par Job de la création de Dieu. Ici Job admire la création. La Bible de Jérusalem déplace les versets pour les mettre sur les lèvres de Bildad de Shoua. Il est plus simple de les considérer comme un ajout.
13. Au chapitre 27, nous lisons une louange de l'action de Dieu et une condamnation des méchants. Nous avons ici, également, un déplacement dans la Bible de Jérusalem, pour éviter la contradiction. C'est un ajout.
14. Le chapitre 28 oppose le savoir de l'homme avec la Sagesse dont la provenance est mystérieuse : "la sagesse d'où provient-elle ?" (28, 20) et "Dieu seul en a discerné le chemin" (28, 23). La Sagesse est accessible seulement à Dieu. Cela a pour effet de débouter le discours des amis de Job qui parlaient au nom de la Sagesse. En effet, dire que Dieu seul connaît la Sagesse c'est dire que les amis de Job ne la possèdent pas. Job va se retourner contre ses amis.
15. Au chapitre 29, Job évoque son bonheur perdu et fait le rappel de la justice, en particulier de sa sollicitude pour les pauvres. C'est le portrait idéal du juste.
16. Au chapitre 31, le même élément est repris avec le "tu" à Dieu et l'affirmation de la justice de Job.
17. Au chapitre 42, il y a une autre conclusion que lors de la première écriture. Ici, Dieu intervient contre les amis de Job : "vous n'avez pas bien parlé de moi comme l'a fait mon serviteur Job". "Job priera pour vous". Les amis sont réprimandés. Dans la première rédaction, Job reconnaissait avoir parlé à la légère ; il était excusable, car c'était dans la souffrance. Dans la deuxième rédaction, il est justifié par Dieu. C'est un changement théologique.

2°. La théologie de cette nouvelle rédaction.
Dans la première rédaction, comme on est dans un monothéisme strict, le malheur est rattaché à l'action de Dieu. Job voit en Dieu celui qui lui envoie le malheur et le persécute. Il se présente comme une victime de Dieu. Il reproche à ses amis de prendre parti contre lui. A la fin, l'intervention de Dieu manifeste sa souveraine puissance devant laquelle Job s'efface. Dans le débat théologique de la première rédaction, les amis de Job ont raison. Ils disent la justice et la toute puissance de Dieu. Job n'a pas le droit d'accuser Dieu.
Dans la deuxième rédaction, la figure de Job est valorisée et les alliances changent. Dieu passe du côté de Job. Il se tait pendant les dialogues et intervient à la fin en position de juge. La rédaction insiste sur l'intégrité de Job et sur la proximité de Dieu. Non seulement, Job est intègre, mais il est l'ami de Dieu. Le problème du mal est posé à son extrême.
La droiture de Job est soulignée par sa réaction à l'épreuve et à la maladie. Le défi de Satan permet de répondre à l'objection d'une fidélité superficielle : Job n'est pas fidèle à Dieu par intérêt. Il est fidèle à Dieu par conviction intime. Job est présenté comme celui qui dit la vérité.
La position est différente : il n'est plus accusé par ses amis à cause de son orgueil. Il est humble et dit la vérité même si elle dérange. Job veut être fidèle à Dieu. Il est solidaire des pauvres. Il reconnaît, en lui, un certain péché. Ce n'est plus son innocence qui est première, mais la proximité de Dieu. C'est pourquoi Job n'accuse pas Dieu de le persécuter, mais simplement il fait remarquer que la sévérité de la justice risque de le faire mourir.
C'est la raison pour laquelle il s'adresse à Dieu. Il n'y a plus d'accusation, mais le ton de la douleur reste. L'accent est mis sur la douleur et non sur la révolte. Il y a éloge de la création. Job évoque l'action de Dieu contre le mal : la maîtrise des éléments. C'était dit dans le discours sur Dieu, mais là c'est Job qui le dit lui-même. Enfin, nous voyons Job mettre son espérance en Dieu. C'est pourquoi nous trouvons des éléments d'espérance dont l'essentiel est au chapitre 19 : "mon rédempteur est vivant...". Corrélativement à cette position de Job, les amis de Job deviennent les adversaires de Dieu.
Dans ces ajouts, Job s'adresse à Dieu. La position des amis de Job est mauvaise parce qu'ils prétendent avoir la Sagesse. La Sagesse est inaccessible : la parole de Dieu sans analogie avec la parole humaine. La parole finale est à Dieu.

3°. Situation de cette théologie
Job est innocent et droit, dans l'amitié de Dieu. Job devient le porte-parole de ceux qui souffrent. Si nous comparons ce texte au psautier, nous voyons que la plainte de Job correspond à la prière des pauvres : ceux qui n'ont plus d'argent, ceux qui sont malades, les mourants, les désespérés, les persécutés. Les psaumes donnent la parole à ces pauvres en montrant qu'ils n'ont que leur foi et leur espérance en Dieu. Par là même, il y a une identification entre les pauvres et les justes ; et corrélativement, l'espérance dans un renversement de situation. Dans les psaumes , la plainte prend le ton du reproche : "pourquoi Seigneur ?". Dans les psaumes, il y a également célébration de l'action créatrice de Dieu.
Le psautier a été écrit à Jérusalem en situation d'humiliation, après l'exil. On peut rapprocher la deuxième rédaction des dialogues de Job à la situation que l'on trouve dans le livre de l'Exode. Dans le livre de l'Exode, on nous présente le peuple élu comme le peuple des pauvres. Ils sont opprimés par Pharaon. Dieu décide de sauver son peuple. Les deux parallèles bibliques de cette couche rédactionnelle du livre de Job sont donc les psaumes et la rédaction ultime du Pentateuque au moment où l'on fait de la libération d'Égypte la figure archétypale du salut.
- Cela renvoie à la situation de Jérusalem : la domination perse. La situation est dure. On ne peut plus expliquer la destruction de la ville par le péché. On ne peut plus tenir ce discours culpabilisant.
Ceci est confirmé par l'introduction de Satan, trace du dualisme perse pour qui Satan est un agent du mal.
L'explication est que la souffrance est acceptée par Dieu pour éprouver la fidélité du peuple. Dieu est fier de Job ; Dieu est fier de son peuple et cite Israël en exemple, son premier né. Mais pour répondre au soupçon du Satan, il l'éprouve pour manifester sa fidélité. Or le témoin de cette véritable fidélité c'est le peuple des pauvres, ceux qui s'expriment et qui prient quotidiennement.

4. Quatrième rédaction
1. Des ajouts ont modifié une fois encore le sens du livre. Les ajouts sont pour l'essentiel les grands discours d'Elihu - ch. 32, 33, 34, 35, 36, 37.
Des éléments sont aussi ajoutés dans le discours sur la Sagesse. Dans le discours précédent, la Sagesse était inaccessible. Là, la Sagesse est accessible : v. 28 : "La crainte de Dieu voilà la sagesse, fuir le mal voilà pour toi l'intelligence". La Sagesse est identifiée à la crainte de Dieu. C'est un nouveau thème, lié à la droiture morale. Cette Sagesse est dans la Loi.
2. La méthode change : précédemment, on faisait dire autre chose à Job, ici on introduit un quatrième personnage, Elihu, qui condamne Job. La critique porte également sur le manque de conviction des amis de Job. Ce n'est pas une critique de l'argumentation des amis. Elle était bonne, mais n'a pas été dite avec assez de force.
Pour Elihu, la souffrance infligée par Dieu est une correction de l'orgueil de Job. Cette correction est bonne, parce qu'elle a pour effet de l'empêcher de tomber dans la mort. Job devrait remercier Dieu de toutes les faveurs qui viennent avec la correction. Elihu accuse Job d'avoir fait partie des méchants (ch. 34, 7 et 8). Comme Dieu rétribue en toute justice, Job a le sort qu'il mérite. (ch. 35,8) : "Tes semblables qu'affecte la méchanceté" ; "Tu ne faisais pas justice des méchants, tu décevais le droit de l'orphelin" v. 17 ; ch. 36, 18- 21 : Job est identifié aux méchants.
Face à Job qui se plaignait du silence de Dieu, de son absence qui laisse faire le mal, Elihu déclare que Dieu est ni absent ni silencieux : c'est Job qui n'écoute pas quand Dieu parle. 33,14.
Elihu développe la doctrine de la rétribution : Dieu corrige et punit le péché. 33,19 : "il le corrige sur son grabat..." Job est renvoyé à sa culpabilité, ch. 35,5- 12.
Elihu reprend ce qui était dit de l'œuvre créatrice de Dieu pour manifester la toute puissance de Dieu et sa justice implacable. Job est placé en adversaire de Dieu. ch. 39 : Job est mis en demeure de répondre à Dieu sur un ton de reproches. Job critique Dieu. Il s'est opposé à son jugement. ch. 40, v. 7- 8 : "veux-tu vraiment casser mon jugement ?" Dieu peut dompter les puissances du mal (Behémoth et Léviathan). Job voulant faire le procès de Dieu était dans un orgueil insensé. Il manquait de crainte de Dieu. Job était dépourvu de sagesse. C'est la conclusion.
Job confirme sa petitesse et la folie de sa prétention. Il se soumet ; il reconnaît son ignorance, son erreur. Ce qu'il savait de Dieu était imparfait. Il se rétracte. Il retire ses paroles. Il fait le geste de la pénitence "sur la poussière et sur la cendre" .
Job qui avait raison dans la deuxième rédaction redevient adversaire de Dieu et n'a pas raison. Dans la première rédaction, les amis de Job sont des amis : ils lui parlent, ils s'adressent à lui, ils veulent aider Job. Là Elihu ne dialogue pas avec Job dans son malheur. Il lui rappelle tous ses torts et il l'accable.
3. Cette théologie s'inscrit dans un nouveau contexte. Pour la déterminer, le discours sur la Sagesse peut servir de clé. Ce thème se trouve dans plusieurs textes et en particulier dans le Siracide (Ecclésiastique) écrit au tournant du deuxième siècle. La Sagesse y est liée à la crainte du Seigneur. C'est un livre plein de moralisme. C'est un discours sur l'humilité. Nous pouvons trouver des parallèles entre le moralisme du Siracide et celui des discours d'Elihu.
Il y a également le livre de Tobie. Dans le discours d'Elihu, il y a un texte qui correspond au livre de Tobie. Quand le juste est malade et souffrant, près de lui se trouve un ange, un médiateur (Job 33,23).
Il y a un troisième parallèle : le livre de Baruch. Il y a à la fois un lien strict entre le péché et le malheur et une identification de la sagesse avec la Torah.
Cela donne une indication sur cette nouvelle rédaction qui aurait eu lieu aux 2e et 3e siècles. La théologie n'est plus celle du temps précédent où le peuple était pauvre. On est dans une situation dont le contexte politique permet une relative autonomie de Jérusalem. Il n'y a pas d'oppression. On n'a plus besoin de dire que les pauvres sont les amis de Dieu. Par contre, le débat avec l'hellénisation commence.
Il y a là tension dans la communauté juive entre ceux qui sont pour l'hellénisation liés aux rois d'Égypte et les autres. Manifestement, le discours sur la Sagesse est une manière de rejeter la prétention à la Sagesse du monde grec. C'est une des explications de la présence de Béhémoth et de Léviathan dans le dernier discours de Dieu dans le livre de Job. Ils seraient à la fois des monstres primitifs, des figures de puissances politiques et des animaux de type égyptien (crocodile et hippopotame).

Conclusion
La lecture exégétique a pour effet de permettre de comprendre la diversité du livre de Job et même ses incohérences. On les explique par la présence de réécritures en plusieurs couches. 1. Une légende, un texte court. 2. Une première rédaction des dialogues. Elle correspond à un débat à Jérusalem concernant le statut de l'Exil. 3. Une deuxième rédaction des dialogues valorise Job au maximum. C'est dans un autre contexte social : Job y devient le porte-parole de ceux qui souffrent. 4. Dans une troisième rédaction des dialogues, Job est accablé ; il y a un durcissement de la première rédaction sous l'influence d'un autre contexte politique et social.
Le livre donne pour cette raison une figure de Job très contrastée posant la question de l'action de Dieu dans le malheur.
L'exégèse historico-critique analyse le texte dans ses contradictions et se réfère à des documents qui se situent dans une histoire où se trouve est toujours la même question : la présence du mal dans le monde.




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