20/08/2012

« Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie »


Dimanche 19 août 2012  —  20e dimanche après Pâques 

 


PREMIÈRE LECTURE - Livre des Proverbes 9, 1 - 6

1 La Sagesse a bâti sa maison
elle a sculpté sept colonnes.
2 Elle a tué ses bêtes, apprêté son vin,
dressé sa table,
3 et envoyé ses servantes.
Elle proclame sur les hauteurs de la cité :
4 « Si vous manquez de sagesse, venez à moi ! »
A l'homme sans intelligence elle dit :
5 « Venez manger mon pain, et boire le vin que j'ai apprêté !
6 Quittez votre folie et vous vivrez,
suivez le chemin de l'intelligence. »



Tout d’abord, il est bon de rappeler que les Proverbes font partie de la littérature sapientielle d’Israël, un peu comme les proverbes de nos cultures africaines énoncés à certains moments de la vie individuelle ou collective pour prévenir, éduquer ou aider au règlement de certains litiges. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit là du fruit de siècles de structuration et d’expression d’un corps de sentences brèves et condensées. C’est dire combien elles ont été éprouvées par le temps et les circonstances de la vie.
L’extrait qu’il nous est proposé de méditer en ce dimanche met en valeur la « Sagesse hospitalière » et résonne comme une invitation au repas de la Vie. La table dressée par la Sagesse est ouverte à tous les passants : rien à payer, aucun rang social à prouver, aucune réservation exigée… Il suffit d’accepter l’invitation, d’entrer et prendre part au festin. Plus tard, d’autres prophètes feront l’éloge de la « nourriture des pauvres » : « Vous tous qui êtes altérés, venez vers l’eau ; même si vous n’avez pas d’argent, venez. Achetez du blé et consommez, sans argent, et sans payer, du lait et du vin. Pourquoi dépenser votre argent pour autre chose que du pain, votre salaire pour ce qui ne rassasie pas ? Écoutez-moi et vous mangerez de bonnes choses, vous vous délecterez de mets succulents. Prêtez l’oreille et venez à moi, écoutez et votre âme vivra. » (Is 55, 1-3). Jean lui-même restituera cette parole de Jésus prononcée dans la synagogue de Capharnaüm : «  Je suis le pain de vie. Qui vient à moi n’aura jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6, 35). Le même Jean, décrivant la Jérusalem future dans une vision saisissante, nous livre le message de Celui qui siège sur le trône : « Je sui l’Alpha et l’Oméga, le Principe et la Fin ; celui qui a soif, moi, je lui donnerai de la source de vie, gratuitement », comme le jour de la multiplication des pains et des poissons (Jn – Ap 21, 6).
Dieu ne se monnaye pas. Et son don, y compris le plus élevé des dons que constitue sa propre personne offerte en sacrifice pour le salut des hommes… est gratuit. Cette eau dont il est la source véritable, autrefois (dans l’Ancien Testament) caractéristique des Temps messianiques est devenu avec le Christ le symbole de l’Esprit vivant. Et quand on sait que des millions de personnes dans le monde sont privées ou manquent d’eau, cette parole du Christ revêt encore plus un sens particulier à notre époque où tout est capté par des groupuscules d’influence économique et de pouvoir politique qui prennent en chantage les faibles et les pauvres. Nous avons lu dans le Magnificat que le pouvoir de Dieu est un pouvoir nouveau qui prend source dans l’Amour véritable de dieu pour les hommes.
Nous ne pouvons manquer de faire le rapprochement entre ce texte et la parabole de Jésus sur le festin : « Il en va du Royaume des cieux comme d'un roi qui fit un festin de noces pour son fils. Il envoya ses serviteurs appeler à la noce les invités. » (Mt 22, 2-3) On sait que les invités ne vinrent pas et que le maître envoya chercher tous ceux qui n’étaient pas initialement conviés : les pauvres, les laissés pour compte, les déshérités. Mais refuser de venir partager le festin, c’est aussi refuser d’accueillir la Sagesse dans son cœur ; c’est s’affamer soi-même, c’est mal user de ce noble pouvoir que Dieu a donné à l’homme en le créant : la liberté. Liberté de dire « oui » ou « non », liberté d’accueillir ou de repousser, liberté de donner ou de recevoir. Refuser le festin, c’est dire non à la vie.

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PSAUME 33 (34), 2-3, 10-11, 12-13, 14-15

2 Je bénirai le SEIGNEUR en tout temps,
sa louange sans cesse à mes lèvres.
3 Je me glorifierai dans le SEIGNEUR :
que les pauvres m'entendent et soient en fête !

10 Saints du SEIGNEUR, adorez-le ;
rien ne manque à ceux qui le craignent.
11 Des riches ont tout perdu, ils ont faim ;
qui cherche le SEIGNEUR ne manquera d'aucun bien.

12 Venez, mes fils, écoutez-moi,
que je vous enseigne la crainte du SEIGNEUR.
13 Qui donc aime la vie
et désire les jours où il verra le bonheur ?

14 Garde ta langue du mal
et tes lèvres des paroles perfides.
15 Evite le mal, fais ce qui est bien,
poursuis la paix, recherche-la.



Cette Sagesse personnifiée dans le précédent extrait du Livre des Proverbes est au cœur de l’éducation spirituelle de tout enfant d’Israël. C’est cette sagesse dont tous les pèlerins viennent s’instruire devant les portes et dans le Temple de Jérusalem, car elle est au fondement de ce qui fait la vie en (et de) Dieu. C’est pourquoi la crainte du Seigneur est enseignée comme l’attitude fondatrice et constitutive de la relation de chacun avec Dieu : « Le commencement de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur... La plénitude de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur... La couronne de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur... La racine de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur... » (Si 1, 14... 20). Au fond, tous les psaumes dits de louange à la Providence, à sa Justice, à sa Miséricorde, à sa Puissance… perpétuent, à la suite des Prophètes de l’Ancien Testament, cette seule exigence envers le Dieu : la crainte du Seigneur, clé de toute richesse et de tout bonheur véritables. Sagesse en parole, sagesse en acte et en pensée. Cela est si important qu’au début de chaque célébration eucharistique, le célébrant invite les fidèles à confesser cette crainte du Seigneur dans la prière pénitentielle : « … Oui, j’ai péché en pensée, en parole, par action et par omission ».
On pourrait même dire que la crainte du Seigneur est, pour celui qui désire la vie, un acte de confiance permanent en Dieu qui protège, qui pardonne et qui sauve. En effet, qui craint le Seigneur ne peut redouter un châtiment de sa part ; car cette crainte-là participe de son amour. Telle a été la posture de Marie, humble de cœur et d’esprit, cette petite fille qui a eu le courage de répondre à l’Ange : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon sa Parole ».

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DEUXIÈME LECTURE - ÉPHÉSIENS 5, 15 - 20

Frères,
15 prenez bien garde à votre conduite :
ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages.
16 Tirez parti du temps présent,
car nous traversons des jours mauvais.
17 Ne soyez donc pas irréfléchis,
mais comprenez bien quelle est la volonté du Seigneur.
18 Ne vous enivrez pas, car le vin porte à la débauche.
Laissez-vous plutôt remplir par l'Esprit Saint.
19 Dites entre vous des psaumes, des hymnes, et de libres louanges,
chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur.
20 A tout moment et pour toutes choses,
rendez grâce à Dieu le Père,
au nom de notre Seigneur Jésus Christ.


L’apôtre Paul exhorte les Éphésiens à traduire dans leur vie courante les fondamentaux de cette Sagesse. Éphèse est une grande ville qui bouillonne de toutes les influences qu’exercent sur ses habitants les divers mouvements qui font son essor. Économiquement, socialement et religieusement aussi. Et les chrétiens des toutes jeunes communautés ne sont pas épargnés, eux qui sont montrés du doigt, traités d’illuminés ou d’attardés quand ce n’est pas de sectaires et d’anthropophages dangereux qui se réunissent et affirment « manger le corps » d’un certain Jésus. Mais Éphèse est aussi la ville de l’explosion de toutes les excentricités et de l’intolérance politique : les chrétiens doivent se tenir à carreaux et ne pas semer le trouble publique. En même temps, on ne s’empêche pas d’exhiber à leurs yeux les soi-disant mérites de l’idolâtrie, de la débauche et l’ambition malsaine. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’invitation et les mises en garde de Paul : la fin ne justifie pas les moyens, « ne vivez pas comme des fous, mais comme des sages. Tirez parti du temps présent, car nous traversons des jours mauvais. » Rien à voir avec le « Carpe diem » (« cueille le jour présent sans te soucier du lendemain ») du poète Horace qui, voulant convaincre Leuconoé du caractère incertain du futur et de ce que tout est appelé à disparaître, fait ainsi l’éloge de l’hédonisme (sans récuser cependant toute disciple de vie). Ici, Paul n’incite pas à la débauche, à la démesure, ni à la surconsommation. Bien au contraire, il appelle à la sagesse en reprenant certains conseils à l’Ancien Testament, particulièrement dans les Proverbes : « Ne regarde pas le vin : comme il est vermeil ! comme il brille dans la coupe ! comme suavement il coule ! Il finit par mordre comme un serpent, piquer comme une vipère… » (Pr 23, 31-32). Certes, à la suite du Christ, Paul parlera aussi de ce vin nouveau qui nous enivre de vie éternelle. Il s’agira su sang du Christ versé sur la croix pour la rémission des péchés des hommes de toutes races et nations. La crainte de Dieu n’est pas un emprisonnement, une interdiction d’agir, de parler ou même de penser… Non ! La crainte de Dieu est une disposition de tout être qui se confie à Dieu pour vivre en pleine liberté : elle est la condition même pour vivre et grandir en présence et sous la gouverne de l’AMOUR, c’est-à-dire de Dieu lui-même. Et ce, quelle que soit notre situation présente ! Se convertir à Dieu, c’est se laisser habiter par son Esprit qui renouvelle par le feu de l’AMOUR, c’est s’engager à vivre désormais dans la foi : « Que chacun demeure dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé. Etais-tu esclave quand tu as été appelé ? Ne t'en soucie pas ; alors que tu pourrais te libérer, mets plutôt à profit ta condition d'esclave. Car l'esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur. » (1 Co 7, 20-24).


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ÉVANGILE - Jean 6, 51 - 58

Après avoir multiplié les pains,
Jésus disait à la foule :
51 « Moi, je suis le pain vivant,
qui est descendu du ciel :
si quelqu'un mange de ce pain,
il vivra éternellement.
Le pain que je donnerai, c'est ma chair,
donnée pour que le monde ait la vie. »
52 Les Juifs discutaient entre eux :
« Comment cet homme-là
peut-il nous donner sa chair à manger ?
53 Jésus leur dit alors :
« Amen, amen, je vous le dis :
si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme
et si vous ne buvez pas son sang,
vous n'aurez pas la vie en vous.
54 Celui qui mange ma chair et boit mon sang
a la vie éternelle ;
et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
55 En effet, ma chair est la vraie nourriture,
et mon sang est la vraie boisson.
56 Celui qui mange ma chair et boit mon sang
demeure en moi, et moi je demeure en lui.
57 De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé,
et que moi je vis par le Père,
de même aussi celui qui me mangera
vivra par moi.
58 Tel est le pain qui descend du ciel :
il n'est pas comme celui que vos pères ont mangé.
Eux, ils sont morts ;
celui qui mange ce pain
vivra éternellement. »



Depuis le début de ce mois d’Août, la liturgie nous propose de méditer sur le chapitre 6 de l’Évangile de Jésus-Christ selon Saint Jean. Contrairement aux autres évangélistes qui relatent des scènes et des propos de Jésus dans sa vie courante, Jean développe une véritable théologie dans laquelle il explicite les fondements de la Parole de Jésus.

Dans ce chapitre dont le contenu n’est pas d’emblée facile à comprendre, nous avons compté 21 fois le mot « Pain », 11 fois le mot « vin », 7 fois le mot « Chair », 4 fois le mot « Sang », et 5 fois l’expression « Vie éternelle ». Ce n’est donc pas par hasard que Jésus reprend à son compte ces mots importants dans les cultures hébraïque et orientale pour proposer une vision toute nouvelle à ses interlocuteurs. Et c’est peu dire, quand on sait la centralité du pain dans ces cultures (avec l’activité agraire que cela suppose en amont : la culture du blé, du froment ou de l’orge), du vin (fruit de la vigne que l’on préserve de toutes les maladies et de toutes les agressions des passants et les bêtes), du sang (que l’on s’interdit de répandre sur le sol parce que principe même de la vie) et de l’eau (essentielle pour faire vivre les hommes, la nature et les animaux.
« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. » (v. 51) Les propos sont choquants et dérangeants pour  des interlocuteurs qui s’offusquent de ce que ce Nazaréen se prenne pour Dieu, qu’il s’offre ou plutôt se recommande à eux et à tous les hommes comme la vraie chair, le vrai pain à manger pour prétendre à la vie éternelle !
Jésus concentre donc toute la symbolique de l’eucharistie dans les mêmes mots que la tradition juive : le pain et le sang. Du premier — et au-delà de son indispensable utilité dans nourriture quotidienne — les Juifs n’ont que le souvenir de cette manne que le Seigneur Dieu fit tomber du ciel pour nourrir en abondance les enfants d’Israël dans le désert. Or ceux qui ont mangé de cette manne sont morts, simplement parce que cette manne, bien que « don de Dieu », n’avait pas d’autre vertu que nutritionnelle. Et ce fut un épisode parmi d’autres, signe de la miséricorde et de la toute-puissance de Dieu. Par contre, le pain dont il parle et qu’il promet, ce pain descendu du ciel, c’est sa propre personne, don de Dieu pour la vie éternelle. La Sagesse l’avait déjà prophétisé : « Mangez de mon pain, buvez de mon vin... Celui qui me trouve a trouvé la vie » (Pr 9, 5 ; 8, 35). Du second, on sait qu’il est interdit de le répandre sur le sol à chaque fois que l’on abat un animal. Cela est vrai dans la religion juive comme dans l’Islam et les religions orientales. Le sang, principe de vie, ne être ainsi traité, sans considération et sans respect. Or voici que Jésus se présente aussi comme celui dont le sang, source de la vie éternelle, sera versé pour le salut des hommes. Avant d’être livré et de souffrir sa passion, Jésus réunit ses disciples autour d’un repas au cours duquel il leur dira de nouveau : « Prenez et mangez, ceci est mon Corps livré pour vous », puis : « Prenez et buvez en tous, car ceci est la coupe de mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés : vous ferez cela en mémoire de moi ».
Lui qui dit être venu dans le monde pour rendre témoignage à la Vérité, il sait combien il nous est difficile de comprendre ce mystère, c’est-à-dire de saisir dans toute sa globalité et sa profondeur, cette vérité. Et puisque Lui seul connaît les mystères de son Père et peut nous les révéler, il nous promet son Esprit pour nous ouvrir à l’intelligence de toutes les vérités qu’il nous a enseignées. Mais en réalité, est-il bien raisonnable de vouloir se lancer dans une compréhension totale des vérités révélées ? Ne serait-ce pas là pure prétention à vouloir égaler Dieu lui-même. Car en effet, ce que Jésus nous apprend, c’est de nous laisser simplement habiter, attirer et instruire en toute humilité. Tel est d’ailleurs le sens de l’acte de foi : se nourrir du Verbe fait chair et ainsi faire à chaque instant l’expérience de la vie éternelle en Christ ressuscité et vivant à jamais.

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