17/10/2008

« Rendez à César ce qui est à César
et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Bonjour !
L'Evangile que la liturgie nus propose en ce 29ème dimanche du temps ordinaire est extrait de saint Matthieu (Mt 22, 15-21).

22
15i Les pharisiens se concertèrent pour voir comment prendre en faute Jésus en le faisant parler.
16 Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d'Hérode: «Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu ; tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne fais pas de différence entre les gens.
17 Donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l'impôt à l'empereur?»
18 Mais Jésus, connaissant leur perversité, riposta : «Hypocrites ! pourquoi voulez-vous me mettre à l'épreuve ?
19 Montrez-moi la monnaie de l'impôt.» Ils lui présentèrent une pièce d'argent.
20 Il leur dit : «Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles ? —
21 De l'empereur César», répondirent-ils. Alors il leur dit : «Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.»
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Quelques pistes pour notre réflexion

L’impôt prélevé par les Etats sur les citoyens a toujours suscité des débats passionnés tant au sujet de sa perception qu’à l’utilisation qui en est fait. Comme chacun sait, surtout en ces temps de crise financière, le porte-monnaie est une réalité particulièrement sensible : trop d’impôts, impôts injustices ou mal répartis, fraudes fiscales, etc. ces propos alimentent régulièrement les conversations et sont l’enjeu de luttes politiques et sociales.
C’est donc sur ce terrain délicat que les pharisiens vont tendre à Jésus un piège dont ils pensent qu’il ne s’en sortira pas. D’autant plus que, pour l’occasion, ils se sont alliés à leurs pires ennemis, les partisans d’Hérode Antipas. Ceux-ci composent opportunément avec l’occupant romain et en prennent à leur aise avec les préceptes de la loi de Moïse.
«Est-il permis ou non de payer l’impôt à l’empereur?», demandent-ils à Jésus après quelques compliments flatteurs. Si Jésus répond “oui“, il s’oppose aux pharisiens et se discrédite auprès du peuple. Si sa réponse est “non“, il devient suspect vis-à-vis des hérodiens ; et il risque alors de passer pour un séditieux et d’être dénoncé comme tel aux autorités romaines.
Ce piège que ses adversaires croyaient implacable, Jésus le déjoue avec une autorité et une vérité étonnantes. «Hypocrites!», leur lance-t-il, nullement dupe de leur duplicité. La question qu’ils posent à Jésus, ils l’ont déjà résolue pour eux-mêmes, car eux, ils paient tous l’impôt. Et du reste ils ne peuvent pas faire autrement : le fisc romain était en effet intransigeant et pointilleux dans la mise en œuvre de son recouvrement. A la demande de Jésus, ils sortent de leur poche une pièce de monnaie romaine frappée avec l’inscription “Tibère, divin César“ [Depuis Jules César divinisé à mort, et depuis Auguste, les Césars romains prenaient le titre de “dieux“. A la fin du premier siècle de notre ère, Domitien se fera même rendre un culte de son vivant ; les chrétiens ont été persécutés, ont souffert et sont morts pour avoir justement refusé de l’adorer…]

On perçoit dès lors l’impact de la réponse de Jésus qui est loin de ressembler à une échappatoire. Le sens véritable de cette réponse “ Rendez à César ce qui est à César“, c’est “Rendez à César ce qui lui appartient, c’est-à-dire son argent, mais le culte qui revient à Dieu seul. On avait posé à Jésus une question piège sur l’impôt, et lui se place sur un tout autre registre, celui du rapport entre le pouvoir et la religion. Les contradicteurs de Jésus ont ont voulu le pousser à ce qu’il se situe par rapport au pouvoir romain, mais lui a annoncé l’Evangile et les droits de Dieu qui est au-dessus de tout.
Aujourd’hui, l’Eglise, où qu’elle soit et quelles que soient ses légitimes préférences, peut être tentée de choisir et de favoriser un système (politique, économique et social) contre un autre au motif qu’il lui paraîtrait plus «juste». Mais, mis à part le cas où elle doit dénoncer fermement un système foncièrement pervers, elle court le grand risque de s’inféoder en prenant parti. Car une telle situation pourrait se retourner contre elle [cela s’est déjà vu au cours de l’histoire lorsque l’Eglise (ou les église) ont eu partie liée avec un quelconque régime politique].
Mais, attention ! «Rendez à césar ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu» n’est pas à interpréter comme: «la religion à la sacristie et la politique partout ailleurs». Naturellement, aucun système politique, aucun projet de société ne peut se permettre ni prétendre annexer l’Evangile, et aucun pouvoir ne peut s’approprier l’éthique évangélique. Cependant, le rôle de l’Eglise, fidèle à la Parole du Christ, est de rappeler sans cesse les valeurs de foi et d’humanité sur lesquelles elle est fondée. Sa mission est de défendre les droits de Dieu et, à la lumière de ceux-ci, les droits de l’homme dans toutes ses dimensions, y compris religieuse. L’Eglise doit être une force qui interpelle, une force qui conteste aussi ce qui opprime l’homme. Elle propose d’incarner les valeurs chrétiennes dans les relations humaines. Tel est son rôle de «sel de la Terre». Dans sa réponse, Jésus a donc affirmé l’autonomie du culte rendu à Dieu, par rapport au pouvoir temporel. Il a désacralisé l’Etat en reconnaissant cependant l’autorité et la légitimité des pouvoirs terrestres dans domaines propres. Aujourd’hui comme hier on constate l’aberration que constitue la collusion du religieux et du politique dans les républiques islamistes, par exemple, où Dieu est censé tout décider et tout gouverner. Cela conduit fatalement à la sacralisation de la guerre, du terrorisme et de l’arbitraire du leader au pouvoir. Et nous-mêmes, dans notre histoire chrétienne bimillénaire, nous avons connu par moments cette confusion des pouvoirs où la religion se posait en référence et en soutien de l’Etat. On parlait alors de “religion d’Etat“ ou “d’Etat religieux“ !
En ce sens, une laïcité bien comprise (à ne pas confondre avec le laïcisme niant la religion) est garante d’une autonomie des pouvoirs et garante aussi de la liberté religieuse. La réponse de Jésus nous éclaire également sur nos responsabilités dans la société en tant que croyants et chrétiens. Nous avons à respecter l’autorité publique légitime (certes !). L’Apôtre Pierre définissait ainsi nos relations dans ce domaine : «Honorez tous les hommes, aimez vos frères, craignez Dieu, honorez celui qui gouverne…» (I P 2, 17). En démocratie, nous disposons d’un droit de contrôle : notre bulletin de vote. Ne pas voter sans raison valable est une démission. Et nous-mêmes, à notre niveau, si nous détenons une parcelle d’autorité, nous devons l’exercer selon le droit et avec amour et justice ; en nous souvenant que toute autorité vient de Dieu qui nous la confie comme une mission.
Et, quelles que soient la nature et l’étendue de notre pouvoir, ne nous prenons pas pour Dieu. Ne prenons personne pour Dieu non plus. N’abusons pas de notre autorité, qu’elle soit politique, économique, sociale ou ecclésiale ; nous aurons des comptes à rendre à Celui qui nous avertit: «Je suis le Seigneur et il n’y en a pas d’autre que moi…» . Retenons cette recommandation de saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens : «Tout est à vous : le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir. Tout est à vous, mais vous, vous êtes à Christ, et Christ est à vous» (1 Co 3, 22).

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